DEAD MEADOW - Voyager To Voyager

 


J’écoute Dead Meadow depuis maintenant presque vingt-cinq ans. Je les ai découvert autour de leurs débuts en 1998. Ils faisaient partie de ces pionniers du stoner-rock tendance psychédélique, et les groupes du genre n’étaient pas encore très nombreux. Dead Meadow a toujours été une formation de seconde division en stoner, toujours à la limite de la première, mais échouant à y parvenir. Le groupe n’a pas bénéficié du buzz d’un Kyuss ou d’un Hermano. Il va se bâtir une base de fans fidèles, ce qui explique sa longévité. Et sa musique, mélange amoureux de Led Zeppelin, de Black Sabbath, et de Pink Floyd, va cheminer durant trois décennies, depuis le fort appréciable premier album Dead Meadow de 2000. Le groupe est aussi fort délectable sur scène, capable de belles envolées emmenées par le guitariste-chanteur et leader Jason Simon. Pourtant sur albums, si Dead Meadow est bon et capable de beaux éclairs de génie, il est difficile de s’enthousiasmer au même niveau qu’un album de Cathedral ou de Slift. Il manque toujours un petit je-ne-sais-quoi au groupe pour faire passer sa musique du très bon à l’excellent.

C’est ainsi depuis 2000, et j’écoute toujours régulièrement les albums de Dead Meadow, car les pépites sont assez régulières. J’avais notamment beaucoup aimé le live Levitation Sessions de 2021, enregistré en pleine crise du COVID. Leurs prestations live transforment souvent tout en merveilles, et j’ai pris plaisir à les redécouvrir. Mais l’écoute des versions studio m’a parfois un peu déçu. Il manque vraiment un petit truc, trois fois rien, pour que ce soit fantastique. Car les bases sont là et Dead Meadow a un son unique, largement dû à la guitare acide et au chant un peu lunaire de Jason Simon. Et puis, voilà que sort Voyager To Voyager.

Dead Meadow est alors composé de Jason Simon à la guitare et au chant, de Steve Kille à la basse, les deux musiciens fondateurs, et de Mark Laughlin à la batterie, lui aussi à l’origine du groupe, mais parti en 2002 puis revenu en 2010. Le trio commence à travailler sur les nouveaux titres en 2023, aux Ultrasound Studios de Los Angeles, et enregistre les pistes en trois sessions, comme habité par un fluide inédit de création. Le groupe veut conserver le côté live qui est leur grand atout. Les dernières touches sont apportées en janvier 2024, c’est alors que le sort s’abat sur Dead Meadow. Steve Kille se voit diagnostiquer un cancer, et sa santé commence à se détériorer. On sait combien le système de santé américain est cruel, et ceux qui n’ont pas la bonne assurance maladie peuvent mourir sans soins. Kille est encore suffisamment en forme pour finaliser les dernières touches de l’enregistrement de l’album proprement dit.

Puis, Dead Meadow rejoint le studio 606 de Sound City, propriété de Dave Grohl. Le mixage commence, mais la santé de Steve Kille se dégrade rapidement. Il assiste aux dernières sessions épuisé au fond d’un canapé spécialement installé pour lui. Il appose ses dernières directives, mais les musiciens sont perturbés par l’ambiance lugubre qui règne autour de l’état de Kille, condamné à courte échéance. Il s’éteint en avril 2024. La prise en main d’un studio inconnu n’est déjà pas évident, mais avec un musicien et ami déclinant dans la pièce, Jason Simon ne sera pas en capacité de réaliser un travail satisfaisant.

Lorsqu’il écoute les bandes, il est frustré du résultat. Ce nouveau disque est important à plusieurs titres. Il est d’abord le dernier avec Steve Kille à bord, et il doit donc sonner de la meilleure des façons possibles, dans l’esprit du Dead Meadow historique. Jason Simon décide de reprendre intégralement le mixage des bandes captés aux Ultrasound Studios dans son propre studio, au calme. Il le fait pour s’occuper, se concentrer, pour faire le deuil de son ami Steve Kille, dont la mort brutale est un vrai traumatisme.

Finalement l’album Voyager To Voyager sort fin mars 2025 sur le label Heavy Psych Sounds. Et contre toute attente, c’est un chef d’oeuvre absolu, total, de la première à la dernière note. Dead Meadow déroule huit morceaux au format globalement contenu autour de cinq minutes, avec deux exceptions : « The Space Between » et « Voyager To Voyager ». Mais musicalement, le trio reste ancré sur un axe sonore tout au long de l’album : une musique heavy-psychédélique d’une fluidité mélodique et instrumentale parfaite, avec une patte d’écriture de génie qui traverse toutes les chansons de manière constante.

L’album débute par le fantastique « The Space Between » et ses six minutes de voyage sonore passionnant porté par un thème de guitare mélodique obsédant et accrocheur. On distingue presque une pointe de Wishbone Ash dans l’approche de Dead Meadow sur ce nouvel album. Rien que ce morceau mérite l’achat du disque, avec sa superbe introduction à la Klaus Schulze, son thème entêtant et son groove acide impeccable. La voix de Jason Simon flotte sur un tapis de stoner-rock psychédélique proche de la perfection. Le son de sa guitare est merveilleux, à la fois heavy-blues et délié, assez proche des Yardbirds menés par Jimmy Page puis des débuts de Led Zeppelin, toujours avec la Fender Telecaster en main.

« Not The Season » est une superbe relecture du Neil Young And Crazy Horse de 1969-1970 avec ce groove impeccable et ce sens de l’alliage acoustique-électrique. La batterie de Mark Laughlin est absolument superbe, son rythme tanguant au gré des riffs de guitare acoustique. Jason Simon s’envole sur le solo à la guitare électrique, Steve Kille tenant solidement la ligne de basse qui cimente la batterie et la guitare. « The Unhounded Now » est une merveille inspirée du rock garage psychédélique américain de la fin des années 1960. Bien que chaque morceau ait sa patte personnelle, Dead Meadow est ancré dans un son et une approche qui sert de fil conducteur aux huit morceaux, et n’en dévie pas, comme une âme qui traverse la musique de part en part.

« A Wave Away » est une nouvelle incursion dans le son de Neil Young. Dead Meadow monte le titre sur des bases inspirées de Led Zeppelin, ce qui le rend plus heavy, mais une fois encore, cet alliage acoustique-électrique poétique et réussi doit beaucoup au vieux Sachem canadien. Les interventions solo de Jason Simon sont discrètes, toujours mêlées au son d’ensemble. Il n’est pas un soliste démonstratif, ayant besoin d’étaler sa technique et son talent. Il injecte avec finesse ses chorus au bon moment pour relever la poésie d’un morceau. Celui de « A Wave Away » est une d’une beauté saisissante, avec ses plaintes de blues gorgées de wah-wah.

« A Question Of Will » débute la seconde moitié du disque avec une mélodie magnifique, en clair obscur, et au titre narquois dans le contexte de la maladie de Steve Kille. Jason Simon signe un solo sublime. On est dans l’univers ouaté d’un Fleetwood Mac de la période 1971-1974, avec toujours ces sommets d’inspiration géniale en solo qui sont plus proches de Led Zeppelin.

« Dead Tree Shake » est un boogie subtil qui groove à tous les niveaux. Jason Simon, Steve Kille et Mark Laughlin ont conçu ce morceau comme une sorte de mille feuilles sonores entre Pink Floyd, Free, et Led Zeppelin. Le coup de poignet de Simon pour le riff rend la chose dansante. Cependant, son solo acide hanté et les guitares en harmonie viennent contredire l’apparente bonhomie du titre. « Small Acts Of Kindness » vient apporter un peu de tranquillité, comme l’on regarde un étang après une pluie printanière. La mélodie ballote sur un groove chaloupé entre ressac maritime californien et prairie sèche de l’Arkansas. Le solo de Simon relève la magie épique du morceau.

« Voyager To Voyager » clôt l’album avec un voyage psychédélique au long cours. Le morceau commence comme du Dead Meadow plutôt classique et plaisant. Puis, à peu près à son milieu, il bascule dans une sorte d’odyssée spatiale, avant une seconde partie très Led Zeppelinienne du meilleur effet. C’est une bien belle manière de terminer un album, surtout auréolé d’une telle douleur. Dead Meadow y évoque toute son âme, et laisse la porte ouverte à la lumière et à l’espoir.

Dead Meadow a publié avec Voyager To Voyager son tout meilleur album à ce jour, gigantesque d’inspiration du début à la fin, poignant et mélodique. Steve Kille a pu partir sereinement, Dead Meadow a toujours de la ressource et s’ouvre certainement une nouvelle route. Voyager To Voyager peut autant être la première étape d’un nouveau voyage musical, comme la consécration ultime du groupe si il devait en être le dernier album.


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