L'acteur
Boris Karloff est l'une des légendes du cinéma d'horreur pionnier
de la fin des années 20 à la fin des années 30. Seul ou avec un
autre acteur mythique, Bela Lugosi, il va devenir l'emblème de cette
épouvante à l'esthétique aussi sombre qu'envoûtante. Jeux
d'ombres, maquillage impressionnant, poses théâtrales, c'est un
cinéma où l'horreur est suggérée, rarement mise en scène. Il n'y
a pas de sang, pas de coups, juste les prémices de ce qui s'annonce,
laissant le spectateur imaginer le pire par l'ambiance glauque, les
grimaces de Karloff, et les visages pétries d'épouvante des
victimes, dont la délicieuse Gloria Stuart.
Le
Doom et le Stoner ont repris à leurs comptes cette esthétique du
film d'horreur des années 30 à 60 : Electric Wizard,
Uncle Acid And The Deadbeats…. Déjà, en 1984, Pentagram
mettait en boîte un titre nommé 'The Ghoul', tiré d'un film
avec Boris Karloff et datant de 1933. Et puis n'oublions pas que
c'est le titre d'un film avec Karloff qui donne son nom au premier
vrai groupe de Heavy-Metal de l'Histoire, nos maîtres à tous :
Black Sabbath. Il était donc logique qu'un groupe de
Doom-Stoner porte le patronyme sacrée, avec la particule
respectueuse en prime : Saint Karloff.
All Heed The Black God, une plongée dans la folie de ce monde par un prisme vintage
Fondé
en 2015 à Oslo, le groupe sort un premier disque éponyme en 2016,
et pose les bases de son style : un Doom-Psyché fortement
influencé par Black Sabbath, les premiers enregistrements de
Pentagram, mais aussi le Proto-Metal des années 60 : Sir
Lord Baltimore, Hard Stuff, Leaf Hound….
Des groupes comme cela, il y en a une cavalcade. Ces influences
magiques donnent souvent des disques sympathiques mais guère
enthousiasmants sur la longueur : il manque une voix qui capte
l'oreille, des riffs et des mélodies originaux.
La
découverte de ce second disque de Saint Karloff est un vraie
belle suprise : « All Heed The Black God »
est un excellent album. Le son est rugueux, la voix puissante, la
section rythmique impeccable. Plus l'album avance, plus il révèle
ses qualités, et chaque écoute provoque toujours plus d'affection
pour cette musique aux racines si classiques mais dont l'identité
est réelle.
'Ghost
Smoker' qui ouvre le disque avec ses sept minutes hantées pose le
décor, celui de la superbe pochette. Sur un bruit d'orage menaçant,
le riff grogne avant qu'un tempo Boogie vienne coller le train à la
guitare. Typiquement sabbathien, on se laisse enivré par ce trio
malsain. 'Space Junkie' est un morceau bien plus enlevé, carrément
fou. Il pioche davantage du côté de Hawkwind sur les
couplets surexcités, mais le refrain plonge l'auditeur dans un
carcan d'acier trempé, cette Jeune Fille de Fer dans laquelle le
supplicié voit le couvercle couvert de pics acérés se refermer sur
lui si il ne parle pas.
'Ganymedes'
est un bel interlude acoustique, teinté de Folk, pétri de
mélancolie. On se retrouve assis au pied de l'arbre sur la pochette,
laissant divaguer son esprit avec le ciel qui s'obscurcit d'orage, et
les herbes sauvages se couchant sous les rafales d'un vent d'été.
Ce
prélude boisé ouvre la voie à une série de véritables tornades
électriques totalement obsédantes, faisant monter la tension. 'Dark
Sun' ouvre le bal avec sa basse ronde suivant le riff Psyché-Blues.
La batterie imprime un tempo nerveux, avec un certain swing dans la
charley. On distingue Boris Karloff en Frankenstein, en Morgan dans
« The Old Dark House » ou en momie, marchant vers
sa victime. Les choeurs aériens contrastent avec le côté
implacable du tempo. Le riff se durcit, se fait plus agressif, les
mains de Karloff enserrant le cou délicat de sa proie féminine.
'Radioactive
Tomb' vient provoquer encore plus l'excitation avec son riff et son
rythme urgent. Le groupe injecte clairement du Stooges dans sa
musique. Le chant se fait plus furieux, plus rageur. Entêtant, fou,
il obsède jusqu'à la moelle. C'est du Doom cru et sauvage, du
proto-Metal halluciné, folie radioactive, dérapage de larsen,
percussions tribales, six minutes de pure possession. L'inventivité
du trio est incroyable, sa capacité à rebondir en permanence laisse
pantois.
'When
The Earth Cracks Open' revient dans les rivages du Heavy-Blues
sauvage. Tempo implacable, riffs endiablés, chorus à la Paul
Kossoff, c'est du Blues. Jusqu'à ce que le riff luisant sous
l'orage vienne déchirer le ciel. Batterie et basse viennent coller
au train de cette guitare infernale, marche des démons qui sortent
des entrailles de la Terre pour punir les pêcheurs.
'Spellburn'
est la pièce ultime : presque huit minutes au compteur, elle
explore le larsen, le Blues-Rock râpeux, le Jazz-Rock de la fin des
années soixante : Colosseum, Bakerloo…. Et puis
le riff se stabilise, lourd, majestueux. Il ondule sur ses pivots
rythmiques avec majesté, ouvre de nouveaux horizons au-delà de
l'orage. Et puis la colère de Lucifer tombe à nouveau. La rythmique
se ralentit, la guitare se perd en une cathédrale de power-chords.
Et puis tout s'emballe. C'est méchant, sombre, sans pitié. La
victime est tenue au sol, un grand couteau de boucher prêt à tomber
sur elle. C'est l'Enfer, la peur qui court dans le ventre, la terreur
absolue. Mais le riff s'ouvre vers la liberté. Elle se défait de
son bourreau, court à travers les bois, pourchassée. Une chance de
survivre se dessine entre riffs lourds et chorus acides. 'Spellburn'
est un morceau démoniaque, assurément une merveille à écouter en
concert. Il se ferme brutalement, comme l'on se réveille d'un
cauchemar.
Ce qu'il faut en retenir
Saint
Karloff vient de produire un disque totalement excitant. C'est de
la musique vivante, s'abreuvant du passé, du cinéma, de la musique,
de ce monde fou qui nous dévore comme un monstre qui sort des
entrailles de la terre. Un monde qui devient le reflet parfait des
contes fantastiques d'Edgar Allan Poe et Howard Phillips Lovecraft.