Le
rock a perdu à la fin du 20ème siècle. Il n'avait finalement plus
rien à dire, et fut supplanté par le hip-hop, tout simplement. Le
passage de relais semblait logique, c'était comme cela, un signe des
temps. Les fans de rock étaient devenus vieux, et désormais, ils ne
cesseraient de vieillir. Cette perspective était pour le moins
amère. Le rock était pourtant vivant. Il suffisait d'aller le
chercher là où il se planquait, reclus qu'il était dans
l'underground.
On
chercha l'avenir sur la scène nord européenne à la fin des années
90. Les Hellacopters semblaient fasciner, comme les Spiritual
Beggars ou Queens Of The Stone Age. Ils étaient tous plus
ou moins liés à un terme journalistique : le stoner-rock. Il
englobait grosso-modo toutes les formations qui puisaient leur
inspiration dans le rock des années 70, et en véhiculaient tous les
symboles : fringues, bagnoles, visuels… Mais le style était
globalement méprisé par la presse musicale en général : trop
passéiste, trop redondant, déjà entendu. La techno, l'electro, le
hip-hop étaient désormais les seules issues.
Firebird, un pionnier merveilleux du stoner-rock
Bill
Steer était guitariste-chanteur, issu de deux des formations les
plus sauvages de la scènes metal des années 80 et 90 : Carcass
et Napalm Death. Pour Carcass, il s'agissait de
death-metal, de grindcore, d'albums déversant du pue sonique
illustré de paroles gore médicales. Bill Steer fut à l'origine du
dernier album de ce quatuor repoussant : « Swansong ».
Alors que ses camarades étaient encore dans le metal extrême, Steer
se passionnait pour Free et Humble Pie. Le disque fut
superbe, et ouvrait la voie à bien plus enthousiasmant.
Et
le pinacle fut. Steer fonda son propre trio : Firebird.
Les deux premiers albums étaient fort passionnants. « Firebird »
et « Deluxe » furent enregistrés avec deux
merveilleux fanatiques du heavy-rock anglais : Leo Smee à la
basse et Ludwig Witt à la batterie. Ils furent les vedettes du
nouveau label consacré au stoner : Rise Above Records. Le label
était fondé par le chanteur de Cathedral, Lee Dorrian. Ils
étaient tous issus du monde de l'extrême, et voulaient tous revenir
vers les fondations du doom, du hard et du psyché.
Firebird
était un trio intriguant et passionnant. Ils puisaient totalement
dans le rock des années 70, mais en produisait une synthèse
fascinante. Bill Steer était un guitariste et harmoniciste
passionnant. Sa voix fragile était un plus de personnalité évident.
« Deluxe » déversait un brouet de pure excitation
blues-rock électrique, et son pinacle se nommait 'Slow Blues'. Ce
morceau final était une suite logique du 'Train
Time' de Cream, lui même une variation d'un morceau de
Howlin'Wolf.
Du
label underground, Firebird fut
signé chez une maison de disques plus solide : Steamhammer. La
presse musicale commençait à parler d'eux et l'horizon se
dessinait, plus lumineux.
Mais le groupe se désintégra en même temps qu'il signa. Le stoner
ne paye pas, et dès 2002, Firebird n'est
plus qu'un projet solo. Bill Steer s'entoure de Roger Nilsson à la
basse et George Atlagic à la batterie. Firebird
est déjà au bord de la
déroute.
Pourtant
Bill Steer poursuit,
et laisse libre court à son
inspiration. Il décide d'intégrer de l'orgue Hammond et du piano
électrique pour étoffer le son de sa musique, joué
par Tomas Pettersson. La
base reste un solide hard-blues tel qu'il fut défini sur les deux
premiers albums. Mais Steer est désormais le maître à bord, et
veut voir plus large que le simple cadre stoner-rock. Il réécoute
ses disques de Free et
d'Humble Pie, et
injecte quelques touches de soul blanche dans son rock. Le
résultat est ce « N°3 ».
Que faut-il en retenir ?
Il
débute par un morceau teigneux : 'Cross The Line'. On retrouve
le Firebird tel qu'on
l'avait laissé après « Deluxe ».
Mais il y a un feeling très particulier dès les premiers accords.
Le son de l'album est très organique, d'une pureté magnifique.
Saisi sur le vif en direct dans le studio, au
Berno Studios à Malmo en Suède, on
sent que ce disque est bien plus vivant que tout ce que la production
de l'époque a à offrir. 'Cross The Line' colle immédiatement à
l'oreille : son riff mordant, et son refrain mélodieux tout en
arpèges électriques transcendent.
Le chorus est sublime, tendu, précis, entre silences et
accélérations. La section
rythmique porte littéralement Steer, qui n'a qu'à jouer ses
morceaux avec la plus grande
sincérité.
'Tumbling
Down' dévoile un piano électrique en accompagnement de la guitare.
C'est un boogie lyrique comme en jouait merveilleusement Rory
Gallagher, ces chansons simples
portées par
la
fierté du coeur.
'Stoned
Believer' est une hard-song puissante, avec son riff méchant. La
voix frêle de Steer virevolte au-dessus de ce torrent d'électricité.
C'est du pur Humble Pie
dans le texte, mais avec un refrain magique qui croise Jimi
Hendrix. Steer utilise le
bottleneck de fort belle manière. Il dessine de grands paysages de
lande du bout de son
médiator.
Le
guitariste conserve son bottleneck pour entamer l'un des meilleurs
morceaux du groupe, le
sommet de cet album :
'Station'. Ce superbe titre mid-tempo, teinté de Free,
porte en lui un spleen typiquement anglais. Bill Steer trace les
rails de cette gare avec sa slide, porté par le piano électrique.
Il y a à la fois de l'amertume dans la musique, et ce côté
bravache du type qui refuse de se laisser abattre ; encore une
fois, le côté irlandais de Rory Gallagher.
Le titre bascule ensuite
dans une seconde phase magique portée par de superbes arpèges de
guitare mélancoliques. Le train quitte la gare, et le paysage
défile. Le soleil se couche à l'horizon, teintant de rouge le
paysage et les gros nuages gris qui se déchirent. L'homme laisse
cette ville maudite derrière lui, et tous ces souvenirs. Le solo de
piano porte une respiration légèrement jazz avant que les arpèges
tournent encore et encore, les yeux perdus dans la vitre du
compartiment.
'Hard
Hearted' est un pur blues-rock nerveux qui s'échappe bientôt dans
une belle mélodie douce-amère. Batterie et basse sont superbes,
encore et toujours, portant le guitariste-chanteur au pinacle. 'End
Of The Day' est une nouvelle hard-song brutale dégoulinant de
wah-wah, entre Humble Pie
et Jimi Hendrix. Le
piano électrique reste calé derrière la guitare, étoffant le son
sans la dominer. Cette architecture est inspirée du Rory
Gallagher Band de la
période 1973-1977, celle du magique « Irish
Tour '74 ». Cette
référence au guitariste irlandais permet en tout cas à Bill Steer
de développer son hard-blues vers des territoires plus lyriques et
mélodiques. C'était la
grande force de Gallagher : jouer du blues avec puissance,
inspiration et technique, tout en apportant son âme irlandaise,
celle des belles chansons folk, celle qui anima aussi Phil Lynott de
Thin Lizzy.
'Long
Gone' est un blues à l'âme lourde. Il rappelle Free,
'Mr Big', ce tempo appuyé,
simple, et ce silence déchiré d'accords de guitare simples mais
toujours judicieux. Steer n'est pas Paul Rodgers, mais sa voix a
beaucoup de nuances. Il ne
s'agit en tout cas nullement de plagiat, mais bien d'un morceau
prolongeant magnifiquement un héritage. Le
solo de Steer est superbe, ensorcelé, habité.
'Off
The Leash' vient titiller les références du côté de Whitesnake,
avec son orgue et sa guitare puissante. Les
chorus sont de très belle facture. 'Dream Ride' revient vers le
hard-blues ravageur, et fleure bon les premiers albums de ZZ
Top. C'est une sacrée virée
en bagnole, l'aiguille du compteur tenant le même rythme que la
batterie.
'Friend'
clôt magnifiquement l'album. C'est une belle chanson mélancolique,
poignante. Quelques couleurs
sudistes luisent en filigrane. L'orgue crépite doucement comme un
feu dans la cheminée. On se souvient des copains, de ces bons
moments, de ce temps disparu à jamais. On
sent la poitrine se serrer, encore une fois, comme en écoutant
'Station' ou 'Long Gone'. Sacrément bel album que ce « N°3 ».
Serti dans une sobre pochette blanche orné d'un dessin représentant
Bill Steer en train de jouer de la guitare pieds nus, il dévoile le
fantastique talent d'un musicien exceptionnel, l'un des grands
talents de ce début de 21ème siècle. Malgré la désintégration
de sa première formation, Bill Steer venait d'enregistrer l'un de
ses albums majeurs. Ce disque, aujourd'hui oublié, est
indiscutablement le digne héritier du meilleur du blues-rock
britannique, et l'un des tous meilleurs albums de rock de l'histoire
de la musique, rien de moins.