Top 20 des albums de 2018 | par Julien Deléglise


       
      Nous voici à la fin de l'année 2018, et je présente mon Top 20, le premier depuis mon arrivée au sein de la fort estimable équipe de La Planète Du Stoner-Rock. Je ne sais pas si je serai à la hauteur. A vrai dire, les classements, je n'aime pas trop cela. Mais jouons le jeu. Ce que je vous propose, c'est davantage une sélection de 20 albums qui ont compté pour moi dans le domaine du Doom et du Stoner. Ils ont tous d'excellentes qualités pour être ici, et ils ont tous leur personnalité propre, balayant le panorama loin d’être étroit du monde du Stoner-Rock.

            Il paraît que le Rock est mort. Et que les groupes qui défendent cette musique ne sont que de vulgaires ersatzs. Ils sont trop revival, surfent sur la vague de la nostalgie. Greta Van Fleet s'est fait étriller par la critique comme étant un groupe de reprises de Led Zeppelin qui fait ses propres compositions. Et pendant ce temps-là, les médias déversent des « artistes » quarantenaires passant leur temps à faire du scrapbooking avec des disques de Funk des années 70 ou des parodies de Pop New Wave du début des années 80. Ils sont la quintessence de la modernité de la musique, paraît-il. Pendant ce temps-là, une bande d'acharnés Rock'N'Roll poursuit sa quête. Et ce Top 20 leur est entièrement dédié.

20 SUNDRIFTER – VISITATIONS


            
Ce trio du Massachussetts pratique un Stoner-Rock puissant, imbibé de Desert-Rock et d'un soupçon de Grunge. Deux références viennent à l'esprit : Kyuss et Soundgarden. La dimension psyché-spatiale rapproche Sundrifter des hollandais de The Machine. Il s'agit de leur second disque, plus abouti. Leurs compositions ont franchi un cap, plus vénéneuses, enivrantes comme ces pyramides d'Egypte qui ornent leur pochette. Le spleen de 'Targeted' ne peut pas laisser indifférent.

19 BLACKWULF – SINISTER SIDES


            
Ces quatre américains ont revitalisé le Doom psyché à la mode Pentagram avec brio. Au point de rappeler Geof O'Keefe, le batteur des dix première années de Pentagram. Mais tout cela est bien réducteur, finalement. Je tente de les mettre en lumière, et ils se retrouvent dans l'ombre d'un mythe sacré. Le mieux est d'écouter ce disque sans concession.

18 FU MANCHU – CLONE OF THE UNIVERSE



Je n'espérais plus rien de Fu Manchu depuis « California Crossing » en 2001. Leur fabuleux disque en direct « Go For It… Live » en 2003 semblait pourtant confirmer une belle vitalité scénique. Mais l'album « Start The Machine » en 2004 me refroidit. On pouvait se montrer conciliant : Fu Manchu fut un desperado ultime du Stoner-Rock des années 90, et un de ses plus beaux pionniers. J'achetai à leurs sorties les albums « The Action Is Go », « King Of The Road », « California Crossing »….. Depuis, Fu Manchu me paraissait fatigué, paumé. Et puis il y eut ce nouveau disque, absolument parfait. Ils étaient intenables, et c'était tout ce que l'on attendait d'eux. Ce que l'on attendait pas ? Un dernier morceau de dix-huit minutes de pure exaltation Stoner-Doom.

17 FORMING THE VOID – RIFT


            
Ces américains viennent de produire un troisième album étonnant par son assurance dans l’écriture musicale. Il semble que ces garçons aient enfin atteint la maturité sonique. Mêlant Stoner-Metal, Doom, et Sludge post-apocalyptique notamment mis en lumière par les rois Mastodon, la musique de Forming The Void est un redoutable tourbillon spatial de riffs ravageurs. Le chant et les choeurs positionne « Rift » dans le domaine du Metal sombre, désespéré, mais aussi accrocheur mélodiquement parlant.

16 SAINT KARLOFF – ALL HEED THE BLACK GOD


            
Saint Karloff est un alliage enthousiasmant de Doom culte, Black Sabbath et Pentagram, et d’imagerie de films d’horreur des années 60. Sous ce vernis un brin surannée se cache un Rock  doté d’une dynamique irrésistible. Ce Proto-Metal hanté, également pratiqué par Uncle Acid And The Deadbeats notamment, reste une formule musicale d’une incroyable efficacité, comme le fut le Boogie dans le Rock des années 70.

15 GOAT EXPLOSION – RUMORS OF MAN


            
Quatre desperados germains de Leipzig décident de faire un petit groupe de Heavy-Metal, et se retrouvent à produire un disque épique d’une concision rare, fusion de Doom-Metal, de Stoner-Metal et de Heavy-Metal anglais du début des années 80, celui de la New Wave Of British Heavy-Metal. Le chant de Bastian Kühn est haut, le timbre est fantomatique. Les compositions sont brillantes et enthousiasmantes, ne laissant aucun répit à l’auditeur pris dans un déluge de riffs rageurs.

14 BRANT BJORK – MANKIND WOMAN


            
Jusqu'à présent, Brant Bjork fut toujours pour moi le stupéfiant batteur de Kyuss et de Fu Manchu. Ce palmarès semblait déjà amplement satisfaisant. Ses albums solo étaient fort sympathiques, mais ne m'emballèrent jamais vraiment. On restait dans un cadre un peu convenu. Et la reformation frustrante de Kyuss sans Josh Homme nommée Kyuss Lives ! Puis Vista Chino ne semblait que confirmer cette triste déroute. Cet album a fait de Brant Bjork un vrai artiste à part entière. « Mankind Woman » est une succession de morceaux à l'identité forte, alliage miraculeux de la musique et de l'oeuvre de Bjork. Le disque s'écoule avec évidence, comme si, tout à coup, plus aucun doute n'était permis.

13 MYTHIC SUNSHIP – ANOTHER SHAPE OF PSYCHEDELIC MUSIC


            
le quatuor danois Mythic Sunship repousse un peu plus les limites de son Stoner-Rock psychédélique instrumental en intégrant un saxophone, et en explorant des horizons Jazz. Publié sur le label El Paraiso comme Kanaan et Causa Sui, Mythic Sunship fait partie de ces formations qui font du monde du Stoner-Rock un univers musical riche et original bien loin du carcan passéiste dans lequel on s’obstine à l’enfermer. ‘Resolution’ qui ouvre le disque est un nouveau sommet de l’histoire du Rock électrique.

12 DOMKRAFT – FLOOD


            
Le trio suédois Domkraft pratique un Doom-Metal hypnotique, halluciné, fortement imprégné par Black Sabbath, forcément, mais aussi Hawkwind. Il y règne un climat fuligineux, une tempête sous la boîte cranienne. « Flood » est leur second album, et est un pas en avant en terme de qualité. Leur personnalité tourmentée est toujours bien là, et se pare de stèles de granit électrique. Le son de la guitare ennivre, les riffs secouent, la rythmique tape fort, la wah-wah gargouille. Les suédois sont quand même de sacrées pointures en matière de Doom.

11 UNCLE ACID AND THE DEADBEATS – WASTELAND


          
Les Beatles Doom psyché sont de retour avec un quatrième album plus tendu et agressif. Les tempi sont plus enlevés, les mélodies sont plus hard. Il reste toujours ce chant vaporeux d’enfant malade, celui de Kevin Starrs, régulièrement surmonté de choeurs presque Pop, survolant des thèmes noirs et hantés. Il est une certitude : Uncle Acid n’a toujours pas vendu son âme pour le succès commercial international. Fidèle à leur ligne de conduite artistique, Uncle Acid poursuit son exploration des tréfonds de l’être humain sur fond de musique Heavy-Psyché épique.

10 WEEDPECKER – III


            
Sans doute suis-je atteint d’une forme de chauvinisme Rock qui a tendance à concentrer mon attention sur les groupes anglo-saxons et européens. C’est pour cela que je n’ai découvert le groupe polonais Weedpecker qu’à son troisième disque. Et il était temps. Ce quatuor pratique un Stoner-Rock psychédélique profondément mélancolique, à la fois poignant et lumineux, usant de mellotron et de choeurs vaporeux. Les guitares pleurent et soufflent un vent d’automne qui saisit à la gorge. Ce troisième album est encore meilleur que les deux premiers, déjà de très haut niveau. On sent poindre par moments une petite pointe de Elder dans les parties les plus énergiques, mais oser se frotter à un tel niveau d’excellence assied parfaitement leur statut de grand groupe Rock à suivre de près.

9 PINK FAIRIES – RESIDENT REPTILES


           
Trois vieux galopins des années 70 et 80 ressuscitent un blase magique chez les amateurs de psychédélisme sans que l'on attende quoi que ce soit d'eux. Et en fait, c'est passionnant. C'est du Stoner ? Les Pink Fairies font partie des premiers guerriers électriques qui vont refuser le business, les tournées balisées, et les contraintes commerciales des disques. Le guitariste Paul Rudolph compensera son bras atrophié en jouant comme Jimi Hendrix. L'homme sera bassiste d'Hawkwind, jouera de la guitare pour Brian Eno sur ses meilleurs albums. Puis il se passionnera pour le cyclisme. Le redécouvrir quarante-cinq ans après, intact de talent, est enthousiasmant. Le savoir encadré par un ancien bassiste d'Hawkwind, Alan Davey, et du premier batteur de Motorhead, Lucas Fox, fait de ces Pink Fairies le groupe parfait.

8 CRYPT TRIP – ROOTSTOCK


            
Originaire du Texas, le trio Crypt Trip fusionne habilement Black Sabbath, Grand Funk Railroad, et James Gang. Les deux références ne sont pas innocentes : elles illustrent à merveille le groove sale qui transpire de cet album. Graisseux, lourd, farouche, psychédélique, « Rootstock » ne donne jamais dans la lourdeur gratuite. Il maintient continuellement l’excitation, le freak-out électrique. Crypt Trip vient de publier un disque enthousiasmant en tous points.

7 KANAAN – WINDBORNE


          
Cet album vient à peine de sortir au moment du bouclage de ce Top 20, mais il est impossible de ne pas en parler ici. Ce trio danois pratique un Stoner-Rock psychédélique instrumental aux confins du Jazz-Rock. « Windborn » est composé de six plages bien différentes créant chacune une atmosphère, un paysage. L’intensité de la musique de Kanaan est presque mystique. C’est un voyage intérieur à travers ses propres souvenirs, les yeux perdus dans les paysages qui défilent à travers la vitre de la voiture.

6 SLEEP – THE SCIENCES


        
Ce nouvel album de Sleep est apparu comme une surprise miraculeuse. Plus personne n'osait l'espérer, sauf que pour « The Chinese Democracy » de Guns'N'Roses, Sleep ne passa pas dix ans en studio. Ils décidèrent de tourner tranquillement depuis 2007, à leur rythme, alors que leur guitariste, l'immense Matt Pike, avait bien des choses à dire avec High On Fire. Les morceaux qui viennent de prendre vie sur cire et plastique argenté sont largement travaillés sur scène depuis dix ans. La légende fera le reste. « The Sciences » aura fait un bref passage dans le Billboard américain pendant deux semaines, montant à la 49ème place, au milieu des disques d'Electro et de Trap. Pour la première fois depuis quarante ans, un album d'un groupe sans concession venait de monter dans les charts. Et puis, au fait, le disque est dantesque. Et alors que la calotte glaciaire se barre, on écoute 'Antarcticans Thawed'.

5 FULL TONE GENERATOR – VALLEY OF THE UNIVERSE


           
Musicalement, l'Australie, c'est souvent passionnant, franchement. L'amateur un peu éclairé connaît AC/DC, Angels, Rose Tattoo, Cold Chisel. Il faut ajouter à cela la génération d'avant : Billy Thorpe And The Aztecs, Coloured Balls, Buffalo, Masters'Apprentices…. Et puis tous ceux d'après : Scientists, Saints….. Le Stoner australien n'avait pas beaucoup de représentants judicieux, jusqu'à ce disque sans fioriture. Ce groupe est l'oeuvre du guitariste-chanteur Andy Fernando, à la voix proche de John Garcia. Le disque est produit par un certain Brant Bjork, qui assure aussi la batterie. Bjork et Kyuss étaient les rois du Desert-Rock, mais ce terme s'applique aussi à l'Australie. En voici la preuve flagrante.

4 CAPTAIN CARAVAN – SHUN THE SUN


          
  Les pays nordiques sont de gros pourvoyeurs de Stoner et de Doom. Sans doute que les longs hivers permettent d'écouter davantage de bonne musique que dans d'autres contrées. Captain Caravan est un trio norvégien pratiquant un magnifique Doom-Stoner-Rock aussi acide que lourd. Le chant rugit comme Paul Rodgers de Free, la rythmique ne manque pas de panache, et la guitare dégouline de fuzz, de sustain et de wah-wah. Le tout est au service de compositions redoutables de panache Heavy-Blues.

3 SPACEMETAL – SHROUD


            
Je ne m'y ferai pas, mais leur nom rend bien mal justice aux qualités, immenses, de leur Stoner-Metal. Ce quintet a émergé des boues visqueuses du Mississippi, à la Nouvelle-Orléans. Ils sont les combattants heavy de cette ville post-Katrina. Leur justesse de ton, leur rigueur mélodique, la férocité des guitares, et le timbre narquois de leur chanteur en fait l'un des tous meilleurs groupes du moment. Il faut avoir jeté une oreille sur 'Forest Of Faith' pour comprendre que ces cinq-là savent malaxer l'âme avec une guitare électrique, mais aussi les mots. Le texte est magnifique.

2 SPACELORD - INDECIPHER


           
Chroniqué il y a fort peu, cet album fait partie de ces claques sonores que l'exploration avisée d'internet offre. Une pochette héroic-fantasy, un nom curieux et vaguement psychédélique…. Et puis la curiosité précipite l'esprit d'un ouragan de plaisir. Ces garçons sont une fusion totalement originale de Led Zeppelin, de Free, de Trapeze, de Soundgarden, et de milles autres choses heavy-blues-funk sur trente ans. Sauf que cette magnifique culture musicale a précipité en un extrait de musique totalement originale. Spacelord dispose d'un chanteur à l'âme redoutable, et d'un guitariste brillant et inspiré faisant voler cet album à une altitude d'excellence rare. La section rythmique mérite largement le coup de chapeau, soutien de groove impeccable.


1 SOLSTICE – WHITE HORSE HILL


           
 Fondé en 1990 par le guitariste Rich Walker, Solstice fait partie de ces pionniers du Doom-Metal européen avec Candlemass, Cathedral, et Count Raven. Deux albums-cultes, « Lamentations » en 1994 et « New Dark Age » en 1998 construisirent leur réputation de mythe du son lourd et mélancolique. Comme toutes les formations de genre, leur destinée fut maudite, entrecoupée de multiples mouvements de musiciens et de splits. On n’attendait plus vraiment Solstice au 21ème siècle, mais la bête revint à la vie en 2011. L’EP « Death’s Crown Is Victory » en 2013 annonçait de bien belles perspectives, confirmées par ce disque dantesque. A mon humble avis, il s’agit purement et simplement de leur meilleur album. Musicalement riche, doté de mélodies poignantes, il est magnifié par la guitare de Rich Walker et la voix de Paul Kearns.