La
Nouvelle-Orléans porte encore les scarifications de la catastrophe
Katrina de 2005. Cet ouragan aura mis à l'épreuve les ouvrages
protégeant la ville du Mississippi, mais aussi les quartiers les
plus vulnérables. Ils sont désormais des cimetières à ciel
ouvert. Les corps sont-ils tous évacués ? Les personnes
victimes sont-elles toutes relogées ? On n'en sait que peu,
parce qu'il s'agissait de ces basanés américains qui faisaient la
richesse de la Nouvelle-Orléans autant que son terreau raciste. Les
quartiers ravagés sont désormais abandonnés. Leurs habitants ne
reviendront pas. Et c'est une partie de la richesse culturelle de
cette ville qui disparaît.
Shroud, le Golem des boues du Mississippi
La
Nouvelle-Orléans n'est pas seulement la cité du Jazz du même nom,
festif, et negro-spiritual. C'est certes sa base culturelle. Mais il
ne faut pas oublier la Warehouse, une salle crée en 1968, et qui va,
comme la Grande Ballroom de Detroit, accueillir le meilleur du Rock
des années 70 : Fleetwood Mac, Allman Brothers Band,
Grateful Dead, Led Zeppelin, Humble Pie… la
salle a fermé depuis longtemps, mais a laissé des souvenirs.
Cinq
personnages ont décidé de monter un groupe de Stoner-Metal dans
cette ville. Dans ce paysage sinistré, ces gaillards veulent
défendre le Rock, du moins leur vision, brutale, épique, et sans
concession. Travis Acosta tient le chant, Rob Norton la basse, Chris
Kain la batterie. John Maracich et Chris Trentecosta tiennent les
guitares. Un groupe de plus, soit…..Il s'appelle SpaceMetal,
et je dois avouer avoir dû aller au-delà de ce patronyme tiède
pour découvrir leur musique. Et elle est excellente.
SpaceMetal
pratique un Stoner-Metal saignant, équarri par deux guitares
précises et inspirées, poussées par une rythmique lourde et
puissante. Au-dessus de ce brasier électrique vole une voix
originale, un brin nasillarde, juste, mais absolument pas
hard'n'heavy. Acosta a le timbre presque maniéré. Il a une force
expressive étonnante.
Que faut-il en retenir ?
« Shroud »
est leur second album en deux ans, et il a les caractéristiques
d'un disque fascinant. Le morceau titre est une virulente heavy-song
à l'âme noire. On ressent la douleur des paysages désolées de la
ville ravagée par la boue. 'Birthright Baby' affole le tempo, les
guitares se mettent en harmonie, rappelant un Thin Lizzy des
enfers.
Ces
deux belles stèles de granit ouvrent la porte à la pièce
d'exception du disque : 'Forest Of Faith'. On plonge dès le
larsen introductif dans un tourbillon de mélancolie rageuse qui va
s'étendre sur huit minutes. Le texte est superbe. Il dessine des
plans cinématographiques de nature froide et détrempée d'automne,
dans les grandes forêts de séquoias à la frontière canadienne. La
rivière qui s'écoule est ce fil de la vie, les arbres sont les âmes
qui hantent nos existences. Les guitares tissent un tapis d'acier, le
chant évoque, martial et suppliant, cette foi en l'existence qui
s'effrite avec les désillusions. Les soli sont abrasifs, écorchent
à vif le coeur. Ils me font tant penser à cet univers urbain
sinistre qu'est la banlieue parisienne, ces âmes perdues qui errent
sans but dans ces espaces sinistres.
'The
Wheel' grogne d'un riff bluesy, Acosta incante. La seconde guitare
pleure. La rythmique fait basculer l'atmosphère en colère noire.
Une saveur zeppelinienne hante le refrain. 'Unifier' est un uppercut
heavy plus classique que l'on trouve presque tiède vue la qualité
des morceaux précédents. Mais sous son atour conventionnel se cache
un excellent heavy-boogie furieux.
'Forest
Of Faith' avait placé haut la barre de l'excellence, mais le disque
a encore de fantastiques pièces à révéler. 'Cities Of The Dead'
vient sonner la charge infernale. Le titre a un écho forcément
particulier à la vue des origines du groupe. Ces cités de la mort
sont sans doute ces quartiers dévastés et abandonnés avec leurs
âmes perdues. La colère règne dans cette tornade de doom-metal
psychédélique.
'New
Blood' est une construction dantesque de dix minutes faites
d'imbrications de riffs terrifiants de menace. Acosta se transforme
en capitaine de navire au milieu de la tempête. Le groupe soude un
monstre métallique totalement invincible. C'est un déluge d'acier
qui s'abat. Chris Kain est un batteur solide et inventif, ne
rechignant pas aux roulements de toms. Son fidèle second Rob Norton
blinde l'espace de sa basse grondante. Maracich et Trentecosta
arrachent de la poussière de pierre avec leurs guitares. Ils savent
aussi ouvrir l'espace, faire entrer l'air et la lumière par des
accords ouverts ou des chorus épiques. SpaceMetal n'est pas
un nouveau Mastodon, mais bien un groupe à part, avec cette
finesse dans l'accord, ce sens de l'émotion sur des bases très
pures.
« Shroud »
est indubitablement un très grand disque, quasi-parfait de la
première à la dernière note. SpaceMetal a son style, qu'il
doit à ses guitaristes inventif, et beaucoup à son chanteur au
timbre charismatique. Ce quintet a de la ressource, et de nouvelles
merveilles à offrir.