Finalement le retour à l'underground du Rock sied à merveille à la France. Bien qu'il connut quelques beaux triomphes commerciaux comme les Variations, Téléphone ou Trust, le Rock a toujours été un truc d'initiés dans l'Hexagone. Quasiment équivalent à un pays d'Afrique pour les formations étrangères, celui-ci leur permet d'y jouer dans les années 70 avec parcimonie, et avec l'appréhension d'une catastrophe annoncée. La France n'est un pays Rock que par une poignée d'amateurs alimentés par la presse musicale, et des sites spécialisés comme le nôtre.
Fuzzy Grass, Une formation majeure en province
Le
régionalisme est aussi marqué dans le Rock. On distingue la scène
parisienne, dominante. Mais il faut aussi compter sur Rouen ou Le
Havre avec les Dogs et Little Bob Story, Lyon avec Ganafoul, Factory
et Starshooter, et la vénérable Franche-Comté, région qui compte
le plus de groupes au mètre-carré après Paris, avec notablement
Ange et le label Crypto, qui signa Ganafoul, Little Bob Story ou
Océan. Le sud, c'est un truc de touristes. Il y a bien Bordeaux avec
Noir Désir, mais c'est tout. Toulouse ? Ah oui, il y a Gold et
Image.
Le
Nord de l'Europe, autrefois si risible avec son accent plus ou moins
germain, est désormais le terreau des meilleurs groupes de Doom et
de Stoner avec la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. Pourtant, la
France, une fois encore plongée dans son underground Rock, a fait
émerger Rising Dust, Necromancers, Graffen ou Mars Red Sky. Il va
falloir désormais compter sur ce nouveau groupe venu de la ville
rose : Fuzzy Grass.
Toulouse,
c'est la cité que chantait si bien Nougaro. C'est aussi l'église
Saint-Sernin, les jolie ruelles de briques rouges, la place du
Capitole, et ce soleil chaud qui fait pousser les céréales,
alimentées par les eaux de la Garonne. Cette sympathique ville,
vivante et touristique, a aussi enfanté l'un des meilleurs groupes
de Heavy-Psych de ces dix dernières années. Il faut remonter en
2015 pour trouver trace de la petite équipe de Fuzzy Grass, qui n'a
d'autre envie que de jouer de la musique heavy et psychédélique
gavée d'improvisations. On est bien loin du Ska festif local ou de
la belle chanson française. La pari est déjà osé en
Grande-Bretagne ou en Suède, mais alors en France, à Toulouse….
Ils vont pourtant s'accrocher, nos quatre desperados de la fée
électricité. Un premier album vient d'éclore, et il fait plus que
confirmer les beaux espoirs posés sur cette formation.
Ils
sont quatre, le cheveu long et bouclé, le doigt de pied vaquant dans
la sandale hippie, assis sur les murs de pierres de la cité de
Lautrec. Trois mâles au poil soyeux contribuent à l'effectif :
Audric Faucheux au chant et aux machines psychédéliques, Thomas
Hobeck à la basse, et Clément Santiago Gaudry à la batterie. Il y
a une jeune femme, et comme vous le constaterez fort adroitement,
elle n'est ni à la basse, ni au chant. Laura Luiz tient
l'instrument-maître : la guitare. Cette frêle silhouette aux
longs cheveux bruns, aux grands yeux noirs et à la bouche finement
dessinée est la maîtresse du boucan d'enfer. Fièrement concentrée,
les yeux mi-clos sur sa Fender Telecaster, elle fomente les riffs et
écrase la wah-wah en chorus assassins. Avec Audric Faucheux, elle
forme une superbe combinaison guitare-voix. L'homme a un timbre
puissant, Blues et Soul. Il y a du répondant, et de l'âme. Tout
comme dans la guitare de Laura Luiz. Hobeck et Santiago blindent une
rythmique souple et pleine de groove.
« 1971 »
est, comme son nom l'indique, une sorte d'hommage à une époque que
les quatre musiciens révèrent. Mais dans la musique de Fuzzy Grass,
il y a autant de références 70's que du nouveau siècle. Les
influences s'éclairent au fur et à mesure des écoutes : les
allemands de Colour Haze, les hollandais de The Machine, mais aussi
Jimi Hendrix, Johnny Winter, Grand Funk Railroad et Leaf Hound. Laura
Luiz sait faire hululer la guitare avec une finesse rare. Elle est le
digne successeur du talentueux Rutgers Smeets de Sungrazer, trop tôt
disparu.
Que faut-il en retenir ?
Ces
magnifiques influences alimentent une musique riche et corsée. Fuzzy
Grass envoient trois missiles de Heavy-Blues Psychédélique
magistraux. L'alignement introductif de 'The Alone Boy Song', 'The
Faceless Man' et 'The Upside Down' est magistral. Les quatre
musiciens sont révélés. Leur unité est magnifique. 'Healed By
Fire' est un boogie un brin téléphoné, déjà un peu trop entendu
depuis 1969. C'est pourtant fort bien interprété.
La
voie s'ouvre avec le poisseux 'The Winter Haze'. Le son est heavy. La
rythmique matraque drue, avec une fougue très Rythm'N'Blues. 'Shake
Your Mind' est un freak-out Boogie Heavy-Psych, qui n'a en fait ni
dénomination, ni maître. C'est du beau Heavy-Blues acide grattant
autant les cordes d'acier que le corps flasque du quarantenaire
narquois et ébaudi que je suis.
Fuzzy
Grass vient de remplir sa mission : celle de fournir un bel
album Heavy-Psych sans concession. On verra plus tard. Et il se
trouve qu'en fait, ce disque est très bon.
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