Un jeu de mot digne de Robert Lamoureux, auteur de la série des films « La 7ème Compagnie » était tentant avec le nom du groupe, en cette triste période où l'ombre du fascisme recouvre la plupart des états européens. La cupidité a failli, le monde est en déclin, et seul l'art semble être la dernière planche de survie avant le bouillon ultime. La scène musicale danoise foisonne de formations instrumentales puisant dans le Stoner, le Blues et le Jazz-Rock : Causa Sui, Mythic Sunship, Kanaan… Tous sont affiliés au label El Paraiso, fondé par Jonas Munk, le guitariste de Causa Sui, le pionnier d'entre tous.
Papir
a fait un un passage dans la maison El Paraiso entre 2011 et 2015
avant de rejoindre l'écurie Stickman Records avec l'album « V »
en 2017. Les disques sont numérotés comme Soft Machine, en
volumes encyclopédiques. Les pochettes sont plus graphiques, plus
sombres aussi que celles de El Paraiso, colorées et souvent inspirés
du surréalisme de Joan Miro.
Papir
n'est pas du genre bavare non plus sur ses titres de morceaux :
il correspond à une numérotation de bibliothèque. Vous cherchez le
premier morceau du quatrième disque ? Eh bien, c'est le
chapitre un du volume quatre, donc 'VI.I'. C'est pas compliqué !
Il n'y a donc ni paroles pour envisager une piste d'explication à
l'univers du morceau, ni même un nom de titre, aussi imagé et
fantaisiste puisse-t-il être. Il reste donc tout simplement la
musique.
"IV", un volume de plus de magie sonore
Et
la musique de Papir est un sacré univers. D'abord c'est un
trio composé du guitariste Nicklas Sørensen, du bassiste Christian
Becher Clausen, et du batteur Christoffer Brøchmann Christensen. Ils
produisent une oeuvre fortement inspirée d'un pionnier historique de
la scène Stoner-Rock : Yawning Man. Ce trio californien
créa une musique elle-aussi instrumentale, psychédélique et
volubile, qui alimenta les longues jams des generator parties dans le
désert de Mojave où se produisirent notamment les embryons de Kyuss
et Fu Manchu. Yawning Man était un groupe à part, pas
vraiment heavy, pas du tout inspiré de Black Sabbath,
cherchant à créer des climats musicaux prompts à la rêverie
intérieure, aux longues dérives psychiques imbibées d'acides,
d'herbe et de téquila. Fondé dans les années 80 par le guitariste
Gary Arce et le bassiste Mario Lalli, le trio sort un disque de temps
en temps, et part sur la route, juste quand l'envie leur en prend.
Papir
est totalement imprégné de cette musique lumineuse et riche, libre.
Si ce n'est que nos trois compères ont régulièrement des choses à
dire. Ils classent leur musique comme des élèves de l'Ecole de
Canterbury, et produisent une musique ensoleillée et rêveuse
imprégnée de Californie sous la lumière pâle du Danemark.
Que faut-il en retenir ?
C'est
leur sixième volume en neuf ans, et l'on peut faire une petite moue
dubitative, la même que lorsqu'un nouveau Soft Machine
sortait : un de plus, qui n'apporte rien au précédent.
Pourtant, c'est, dans les deux cas, que ce soit en 1975 comme en
2019, une erreur de jugement. La volonté de Papir comme de
Soft Machine, c'est de l'obliger à se plonger dans une
musique sans compromis, qui se suffit à elle-même. Soit pour
résumer, une approche qui n'existe plus à l'heure du grand zapping.
Mais
alors, comment est-il, ce nouvel album de Papir ? Eh bien
il est suffisamment formidable pour que j'en demande une copie à
Stickman. Pour une fois, un croisement de données internationales
sur ma pomme m'a suggéré l'écoute d'un disque qui pourrait
m'intéresser, et il fut fort judicieux ! Le lancement de la
pièce 'VI.I' (vous suivez bien la logique), m'a enthousiasmé. La
musique est fluide, lumineuse. Sørensen, Clausen et Christensen
jouent avec une cohésion rare. Ces hommes sont de merveilleux
musiciens, il forme un groupe musical dont l'interaction est assez
rare de nos jours. La musique est un lever de soleil sur la baie, les
oiseaux chantant aux premiers rayons. Les vagues lèchent
délicatement le rivage, les premiers mammifères se mettent en
chasse de leur nourriture de la journée. Il y a des cris, des
heurts, mais il y a toujours un fruit qui réunit un petit groupe de
singes, ou une papaye qui régale quelques oiseaux, sautant en pas
maladroits autour du fruit nourricier.
'VI.
II' se montre plus narquois avec son thème sautillant. Il est
important de signaler que le disque est composé de quatre pièces
sonores de dix minutes environ. L'atmosphère est toujours lumineuse.
'VI.III' révèle un tempo plus énergique, avec ses accords de
guitare en myriades éclatantes. Il me saisit dans la poitrine,
lorsque je regardais les étoiles filantes au mois de juin, sur les
collines de l'Aveyron. J'avais en tête
ma musique psychédélique, et puis le ciel clair de cette campagne
de moyenne altitude. On découvre ainsi le pouvoir imaginatif de
cette musique. 'VI.IV' est un projet presque Jazz, qui ne se pulvérise
pas dans l'électricité totale. La rythmique est un brin agaçante,
et cette dernière pièce se montre décevante. L'écho psychédélique
rassure, mais il ne fait que rattraper une idée bancale. Qu'importe,
cette nouvelle livraison est de belle qualité. Papir n'a pas
perdu la foi. Le trio a de l'inspiration à offrir.
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