La crique baigne dans un halo de soleil rougeoyant. L'océan est calme, les vagues caressent le sable doux et laissent un friselis d'écume fine. La lande de bord de mer danse dans le vent. Au loin, la forêt dégage une odeur de pin chauffé par le soleil de l'après-midi. Quelques pas sont juste nécessaires pour se positionner idéalement sur la dune et regarder l'astre solaire descendre sur la ligne d'horizon. Cette scène, aussi clichesque fusse-t-elle, n'est jamais aussi belle que lorsqu'on la vit pour soi. Certains y verront ce moment romantique à partager à deux. Généralement, je ne le partage pas, car c'est un rendez-vous rare entre la nature, le cycle terrestre et moi-même. Personne ne peut, ne doit venir me gâcher cela, à part peut-être un peu de musique psychédélique.
Car
cette confrontation de l'âme et de la beauté de la nature a
toujours alimenté la créativité des grands artistes. Il y eut le
rock avec Crosby,Stills, Nash And Young ou les Doobie Brothers, il y
eut aussi beaucoup le jazz, avec Sun Ra ou le grand John Coltrane.
Magma, l'orchestre de Christian Vander, est un vaste laboratoire où
se mélangent jazz coltranien, histoire de l'Egypte ancienne, et
science-fiction interstellaire. Il ne me vient donc pas en tête sur
cette plage une quelconque mièvrerie de Julien Doré ou Clara
Luciani, mais bien de la musique qui bouscule autant les méninges
que cette vue sur l'immensité de l'univers.
Causa
Sui est un trio danois qui sévit depuis le milieu des années 2000,
et pratique au départ un stoner-rock inspiré de Kyuss. Il va
progressivement basculer dans une musique bien plus audacieuse avec
cette série de trois albums nommés « Summer Sessions »
et publiés entre 2008 et 2009.
Summer Sessions, l'ouverture vers un nouveau monde musical
L'idée
originelle est d'improviser des thèmes à partir de musiques qu'ils
aiment : le krautrock, le jazz-rock, le blues-psyché….
Parfois en compagnie de
quelques invités comme le disciple de Coltrane au saxophone
Johan Riedenlow ou le génie des claviers Rasmus Rasmussen. Causa
Sui a décidé de ne plus se mettre de barrière artistique, et c'est
ce qui va aussi motiver la création de leur propre label, El
Paraiso, ainsi que la signature de formations aussi audacieuses que
Mythic Sunship ou Kanaan.
Le
concept n'est pas tout à fait original. En effet, Josh Homme, alors
en rupture de Kyuss, créa au milieu des années 90 les Desert
Sessions, vaste laboratoire dans lequel de nombreux musiciens amis,
du monde du stoner ou non, vinrent improviser. Certains thèmes
aboutirent sur des albums des Queens Of The Stone-Age. Mais la
démarche de Causa Sui est un peu différente. En effet, le travail
de ces Summer Sessions
est plus construit. Il s'agit de réaliser des improvisations comme
les grands jazzmen : Coltrane, Davis, Blakey,
Rollins…. On jouait des heures jusqu'à trouver la bonne vibration.
Ces
trois albums voient à nouveau le jour en vinyle sur le label El
Paraiso à seulement 700 exemplaires chacun, et méritent chaque
centime de leur achat. D'abord,
parce que de la musique comme ça au 21ème siècle, il n'y en a en
fait plus beaucoup, et c'est grâce à des guerriers comme Causa Sui
qu'elle vit encore activement dans l'underground.
Que faut-il en retenir ?
Finalement,
ces trois disques sont difficilement dissociables, car ils
proviennent du même esprit. Et
chacun apporte son lot de merveilles. Il y a le volume un avec
l'improvisation hallucinée et robotique de 'Visions Of Summer' et
ses vingt-quatre
minutes, la délicatesse ouatée de 'Red Sun In June' ou la folie
krautrock de 'Portixeddu'.
Le
volume 2 apporte le blues crasseux de 'Rip Tide', mais aussi et
surtout deux fantastiques œuvres jazz-rock coltraniennes : 'The
Open Road' et le sublime 'Tropic Of Capricorn', avec
son petit clin d'oeil aux illustres génies du blues anglais, Savoy
Brown.
Le volume 3 se veut plus proche de l'esprit de Kyuss et du groupe
hollandais The Machine. Les belles dérives électriques que sont
'Eugenie', éclairée de saxophone et de piano électrique aux notes
liquides, et 'Red Valley', sont de nouveaux bijoux sonores. Ce
dernier volume se termine par le délicat 'Venice By The Sea'. Le
voyage s'arrête sur la baie californienne, dans ce halo solaire, les
pieds dans le sable blond, si rares
et si précieux au Danemark.
Ces
trois albums rendent heureux et fiers d'une scène bien plus
intelligente et douée que la médiocre moyenne de notre contemporain
auditif. Ni passéiste, ni élitiste, elle saura aussi faire voler
les robes légères de quelques jeunes filles à l'esprit libre,
dignes héritières de leurs aînées rêveuses à un avenir
meilleure, il y a cinquante ans.
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