C'est
une belle matinée ensoleillée sur Rome. Autour du Colisée
vrombissent les scooters et les taxis. Les commerçants de souvenirs
ambulants interpellent le client. Ca parle fort, conversation appuyée
avec les mains, de vraies caricatures. La capitale italienne est une
belle ville croulant sous les touristes. Pourtant, quelques sites
romains antiques, un peu excentrés, pas assez populaires sous les
réseaux sociaux, ou nécessitant un peu de marche à pied,
permettent au visiteur de se perdre mentalement quelques instants
dans ces ruines. Le souffle de la ville devient imperceptible, la
mélancolie des vestiges prend le dessus, cette sensation d'éternité
qui vous étourdit.
Si
l'Histoire a de profondes racines autour du bassin méditerranéen,
le Rock'N'Roll reste depuis soixante ans l'apanage des pays
anglo-saxons. Quelques pays européens ont imposé au cours des
années 80 leurs poulains métalliques : Scorpions,
Kreator et Destruction en Allemagne, Celtic Frost en Suisse, Mercyful
Fate au Danemark, Darkthrone en Norvège.
Les
pays du sud de l'Europe ont été toujours été considérés comme
des parents pauvres du Rock. Les tournées en Espagne ou en Italie
sont souvent très exotiques, mais pas vraiment prioritaires en
termes de ventes, un peu comme la France d'ailleurs. Les choses
changent un peu lorsque des formations progressives anglaises
viennent proposer leur répertoire avec succès dans ces contrées :
Soft Machine d'abord, puis puis Van Der Graaf Generator. Ces derniers
vont littéralement connaître le succès en Italie, et engendrer une
génération de groupes de Rock Progressif italien : Semiramis,
Circus 2000, Garybaldi, Le Orme… L'influence de Van Der Graaf
Generator, avec sa musique très intense, triste et sombre, va
conduire les groupes italiens à exprimer des émotions violentes
assez similaires au Krautrock allemand. Comme en Allemagne, l'Italie
est secouée par des mouvements d'extrême-gauche comme les Brigades
Rouges, simultanément avec la Bande à Baader en Allemagne. Le Rock
Progressif italien puise déjà largement dans la science-fiction
apocalyptique et une forme d'occultisme similaire aux formations
anglo-saxonnes : Black Widow, Coven….
Cette
mixture underground va distiller durant les années 70, avant de
disparaître comme tout le Rock Progressif autour de 1977-1978. Le
Punk prend la place en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Toutefois,
des connexions entre le Heavy-Metal sombre de Black Sabbath et le
Punk se fait dans les clubs. Il donnera naissance à Motorhead puis à
Iron Maiden, Diamond Head, Samson... La réponse américaine sera
encore plus noire avec les pionniers du Doom-Metal : Death Row
alias Pentagram, The Obsessed, Saint-Vitus, Iron Man….
Aion Tetra, l'enfant du Doom-Metal italien
On
avait presque oublié l'Italie dans toute cette histoire, mais elle
réagit également. En 1977, une bande de jeunes gens amateurs de
Prog occulte et de Heavy-Metal 70's décident de joindre leurs
forces. Nous sommes à Pesaro, sur la côte Est italienne, non loin
de Saint-Marin. Le chanteur Steve Sylvester et le guitariste Paul
Chain unissent leurs forces pour créer Death SS.
Authentiquement provocateurs, mêlant théâtralité issue du Prog
Italien, la Comedia Dell Arte, et la Heavy Music à la violence
absolue, ils créent une hydre infernale qui va être un pionnier du
Doom-Metal européen, et l'un des plus importants. Les démos
s'enchaînent, les concerts également. Les musiciens jouent en
costumes, sous des pseudonymes démoniaques. Death SS ne
trouvera aucune maison de disque, mais leurs enregistrements entre
1977 et 1984 deviennent de vraies bandes cultes. Par la suite, Death
SS va s'orienter vers un Heavy-Metal plus industriel. Quant à
Paul Chain, qui s'en va en 1984, il démarre une prolifique
carrière d'alchimiste Doom Psyché.
Il
me paraissait nécessaire d'évoquer ces quelques lignes historiques
avant d'aborder Bretus. Car si il fallait un vrai héritier à
cette vague musicale, c'est bien ce quatuor de Calabre. L'histoire de
Bretus débute en 2000, lorsque le guitariste Ghenes décide
de fonder son propre groupe (nous ne connaîtrons pas leurs vrais
patronymes). La rencontre avec le chanteur Zagarus en 2008 va
bouleverser l'histoire du groupe.
Une première démo est publiée, suivie du EP « Bretus »
en 2009.
Que faut-il en retenir ?
Bretus
a publié à ce jour trois albums : « In Onirica »
en 2012, « The Shadow Over Innsmouth » en 2015, et
« … From The Twilight Zone » en 2017. Tous ont
cette âme possédée. Mais « Aion Tetra » dispose
d'un son plus riche. La cohésion sonore du groupe est parfaitement
mise en avant, leur puissance également. La voix de Zagarus a des
intonations similaires à Bobby Liebling, notables sur le morceau
d'ouverture 'The Third Mystic Eye'. Strige à la batterie et Janos à
la basse forment une section rythmique solide sur laquelle les riffs
massifs et habités de Ghenes s'envolent. Bretus s'alimente aux
sources du Doom-Metal : Pentagram, The Obsessed,
mais aussi Candlemass et Count Raven dans l'approche un
peu théâtrale qu'a le quatuor dans sa musique. L'occulte et la
science-fiction fournissent la matière aux textes. Le côté lourd
et possédé n'est pas sans rappeler les aînés italiens :
Death SS et Paul Chain Violet Theatre.
Les
pièces de pur Heavy-Metal maléfique se succèdent : 'Priests
Of Chaos', le sauvage 'Prisoner Of The Night', la procession 'Deep
Space Voodoo', 'Mark Of Evil' et son riff démoniaque… Bretus
vient de produire un album dans la lignée de ses prédécesseurs en
termes de compositions, c'est-à-dire constant dans la qualité. Il
dispose cette fois-ci du son qui lui permet de mettre en valeur ses
pièces de sidérurgie musicale et le très bon niveau des quatre
musiciens. « Aion Tetra » ne révolutionne pas le
Doom-Metal, mais est indiscutablement une des meilleures parutions du
genre de ces dernières années.
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