C'est
une cavalcade. C'est un galop à la fois héroïque et lugubre,
entrecoupé de curieuses accélérations glaçant l'atmosphère. Un
chant furieux, des riffs presque progressifs, un son Stoner-Metal, et
puis il y a ces rythmiques, entre Thrash antique et Black précurseur.
J'ai grand peine à reconnaître le déjà très bon petit groupe
suédois d'il y a deux ans. Vokonis, puisque c'est de lui
qu'il s'agit, vient d'opérer une mue étourdissante.
Grasping Time, déjà le fruit d'une odyssée sonique
Fondé
il y a trois ou quatre ans seulement, le trio composé de Simon
Ohlsson à la guitare et au chant, de Emil Larsson à la batterie, et
de Jonte Johansson à la basse va rapidement produire un premier
disque en avril 2016, « Olde
One Ascending ».
Le chant est rocailleux, la musique enivrante. Ces garçons sont de
véritables machines à produire du riffs obsédants, traçant
des constellations de
guitares lourdes sur une rythmique impitoyable de puissance et de
souplesse. Les textes puisent dans l'oeuvre de HP Lovecraft, comme
Black Sabbath
à ses débuts, et dès ce premier méfait, on
y trouve déjà de l'or.
Derrière cette violence sonore se cachent mille finesses de guitares
SG Gibson, des roulements de caisses dignes de Led
Zeppelin, et sept
odyssées musicales de premier ordre :
'Acid
Pilgrim',
'Shroomblade',
'The
Ashen Rider'….
2017
voit la sortie de « The
Sunken Djinn »,
somptueux album qui confirme toutes les qualités du disque
précédent. La route fait partie du voyage, le trio se produit où
il le peut dans les clubs du Nord de l'Europe, et fait propagande
avec ses pressages en vinyle aux multiples couleurs. La guitare
résonne dans un écho irréel avant de plonger dans une mare de
pétrole poussée par la basse sans pitié de Johansson. Ces deux
albums sont d'authentiques fulgurances électriques d'où jaillissent
mélancolie et colère portées par des riffs Blues inventifs.
Impossible de mettre en avant un titre plutôt qu'un autre :
'The Sunken Djinn',
'Calling
From The Core',
'The
Coldest Night',
'Blood
Vortex'
… sont autant de voyages intérieurs qui extirperont de vos
entrailles la vraie humanité dont vous êtes imprégnée. Répétant
entre des photos de Led Zeppelin, de Black Sabbath et des westerns de
Clint Eastwood, Vokonis s'immerge dans l'essence même de
l'implacable et de l'exigence artistique.
Et
puis ce fut le silence. C'était à craindre. Vokonis avait
enchaîné deux disques dans le fol espoir de frapper un grand coup
sur la scène Stoner, et de se distinguer par sa prolixité autant
que par son talent. Seulement, le monde de l'underground Rock est
dur. Et puis il y avait les factures à payer, le triste retour à la
réalité après les espoirs déçus. Pourtant, le mois dernier,
Vokonis fut de retour avec un troisième album :
« Grasping Time ».
Que faut-il en retenir
Le
line-up est toujours identique à ses origines. Par contre, la
musique a évolué. Elle ne s'est pas adoucie, elle n'a pas non plus
cédé aux sirènes du Metal commercial. Non, Vokonis a affûté
ses armes, et vient de produire un immense album. Les influences
sonores ont évolué, la palette est plus vaste. Outre les
indéboulonnables High On Fire, on retrouve Elder et
Rush. Vokonis reste Stoner-Metal, mais a injecté des
structures progressives. Cela s'entend dès le morceau d'ouverture :
'Antler Queen'. On trouve des riffs massifs, des arpèges lacrymaux,
des incursions Sludge, quelques accélérations Black glaciales, et
surtout des mélodies mélancoliques montées en cathédrales
sonores. Le travail vocal de Ohlsson est ébouriffant, allant du
chant hurlé à la voix claire et déchirante. 'Sunless Hymnal' est à
ce titre est un bel exemple de cet aspect mélodique de la musique de
Vokonis.
Comme
pour Elder, on trouve des compositions à tiroirs, avec cette
même subtilité dans les changements de tableau. Les transitions
entre les riffs se font naturellement, dans le fil de l'histoire que
raconte le groupe. On peut changer totalement d'horizon en quelques
instants, mais il n'y a aucune sensation de rupture abrupte. 'I Hear The Siren'
et 'Embers' en sont de superbes exemples. Sur ce dernier, on trouve
même quelques thèmes en rappel à 'Antler Queen', comme un écho
subtil. L'album se termine sur le somptueux 'Fading Lights', son
atmosphère oppressante et ses pâles rayons de soleil à travers le
lourd ciel gris.
« Grasping
Time » est un très grand disque. Il ne souffre d'aucun temps
mort, d'aucun point faible : technique musicale impeccable,
inspiration permanente, cohésion totale du groupe, personnalité
sonore indiscutable. Vokonis a bien fait de nous faire
attendre deux ans. Le trio suédois vient de franchir un pas de géant
vers le cercle très fermé des groupes dont on parlera encore dans
vingt ans, morts ou vifs.
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