Il
semble que le temps ne porte pas atteinte à l'inspiration de Colour
Haze. En 2019, le trio de Munich fêtait ses vingt-cinq ans de
musique pour treize albums studio. Bien des groupes se sont retrouvés
en panne de créativité bien avant ce terme. Le dernier album en
date, « In Her Garden », avait divisé les
amateurs. Pour ma part, je le considère comme leur meilleur disque,
inventif de bout en bout, et enluminé par petites touches subtiles
de cuivres et de claviers. Cela fut toutefois sans doute trop pour
les fans, qui y virent là le signe d'une ouverture vers le grand
public de leur groupe chéri.
We Are, le disque de la controverse
« We
Are », paru à la fin de l'an dernier, est là pour
resserrer les boulons. Colour Haze est revenu à un son gras et
baveux, gorgé de blues psychédélique, dans la droite lignée
« Tempel » de 2006 et « All »
de 2008. Toutefois, un simple retour en arrière aurait été un aveu
de faiblesse. Aussi, Colour Haze a maintenu la présence de quelques
instruments additionnels : quelques nappes d'orgue Hammond
derrière la guitare, un peu de piano électrique. Toutefois, nous
sommes loin des audaces de « In Her Garden ».
Personnellement,
ce pas en arrière m'a un peu refroidi. Moi qui voyait une
progression vers l'excellence sur « She Said » de
2012 et « In Her Garden » de 2017, la première
écoute de « We Are » fut comme une pointe de
déception, bien vite évanouie toutefois. Peut-être est-ce aussi la
faute de cette vilaine pochette très typée années 90, rappelant
pêle-mêle Marillion ou Tiamat, et de ce nom d'album sonnant hippie
de bas étage.
Que faut-il en retenir ?
La
musique dissipe bien vite les doutes de ce qui semblait être le
premier faux-pas d'une discographie impeccable. L'album débute par
le riff ultra-saturé de fuzz de 'We Are'. La ligne vocale de Stefan
Koglek un peu niaise n'éveille pas vraiment l'enthousiasme, mais sa
guitare boueuse réveille un mort, avec ces petits chorus au milieu
du tapis de bombes inspirés de Kyuss. Le premier sommet arrive avec
le second titre : 'The Real'. Belle divagation bleue mettant en
exergue la guitare de Koglek, le swing du batteur Manfred Merwald, et
l'onctuosité tendue du bassiste Philipp Rasthofer, elle s'étend sur
neuf belles minutes. Un Fender Rhodes vient électriser l'atmosphère
jazz-blues. Colour Haze triomphe dans ces atmosphères mélancoliques
et poignantes, lorsque le regard se perd sur l'horizon, plongé dans
des pensées personnelles puisant au plus profond de l'être. Ce
superbe titre pourrait même justifier à lui seule l'achat de ce
disque.
Le
lacrymal 'Life' vient prolonger l'introspection. La guitare coule en
notes liquides, gouttes de pluie frappant le sol granitique d'une
forêt de résineux allemande aux teintes vertes sombres. Koglek
réveille bientôt la mélancolie pour lancer la machine Colour Haze
dans un boogie amer et revanchard.
'Material
Drive' est une tentative originale de folk acoustique qui tombe
malheureusement à plat. 'I'm With You' est un retour à
l'électricité bienvenu, là où Colour Haze brille littéralement
depuis toujours. Le piano électrique apporte une atmosphère
fluviale à ce morceau là encore profondément mélancolique. C'est
une promenade le long de l'estuaire de la Garonne, sous un ciel gris,
un goût amer dans la bouche, celui des déceptions de la vie que
l'on tente d'évacuer en affrontant le vent humide et les embruns,
comme un défi aux éléments, plus forts que nos existences futiles.
Le
titre suivant s'appelle 'Be With Me', et il semble qu'une ligne
conductrice entre les morceaux se dessinent, comme un concept-album.
Colour Haze est en pleine remise en question à la mi-temps de la
vie. Cet instrumental retrouve les audaces de « In Her
Garden » : la ligne de flûte rappelle les
improvisations jazz-rock de Soft Machine, et la ligne de guitare
obsessionnelle s'inspire de la New Wave anglaise, et notamment Joy
Division.
'Freude
III' clôt le disque de la plus belle des manières, conciliant à la
fois le heavy-psych typique de Colour Haze inspiré de Kyuss qui a
fait sa renommée, et les incursions si discutées dans le jazz-rock
anglais qui enluminent pourtant avec brio la musique de Colour Haze.
« We
Are » est en conclusion un superbe album, dont la pochette
moche et le titre con ne rend pas justice. Seuls deux titres sur
sept, les plus courts, sont discutables. Le reste, tout le reste,
l'essentiel, est de superbe qualité, digne de ce que l'on peut
attendre d'une formation aussi magique que Colour Haze. Alors, vous
devez l'acheter ? Bien évidemment. Mais écoutez-le, et évitez
d'exposer la pochette.
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