Il
fait beau, les oiseaux chantent, le printemps s'installe. Mais nous
voilà tous confinés chez nous à cause d'un virus aussi vicieux que
dangereux. Un battement d'aile au Brésil provoquerait une tempête
au Texas. Eh bien, un pangolin qui éternue met l'ensemble de la
planète en pause forcée. La nature ne s'en porte pas plus mal
d'ailleurs : la pollution de l'air diminue, les poissons
reviennent dans les canaux boueux de Venise, désertée par le
tourisme de masse. Le signal est nécessaire mais fait froid dans le
dos : la nature se porte mieux sans nous, et se débrouille de
toute façon bien mieux sans notre intervention.
Un disque de doom qui perturbe
A
l'échelle du petit français dans son appartement, je profite du
silence, de l'air qui s'embaume des premières fleurs printanières,
dont le parfum n'est pas perturbé par les gaz d'échappement. Les
oiseaux chantent, les insectes volent en tous sens. Et c'est ma foi
bien agréable. Ce repos forcé (pour ceux qui ont cette chance)
permet aussi de redécouvrir le plaisir de la vraie écoute d'un
disque : poser l'album sur la platine, l'écouter éventuellement
avec des écouteurs pour en savourer toutes les nuances, laisser les
pistes défiler l'une après l'autre, et s'oublier dans la musique,
tout entier. Si vous êtes lecteur assidu de cette page, et donc
amateur de cette musique que l'on qualifie pour simplifier de
stoner-rock, vous n'êtes sans doute pas ce consommateur compulsif de
play-list Deezer. Toutefois, il convient de profiter d'une telle
situation pour se recentrer sur l'essentiel.
La
vie n'est pourtant pas rose pour les musiciens. L'ensemble des
concerts sont annulés en France, mais aussi dans le reste de
l'Europe. Seule la Grande-Bretagne fait semblant d'être à l'abri,
mais ce n'est qu'une question de jours. Le trio finlandais Cardinals
Folly était reparti en conquête européenne pour la sortie de leur
nouvel album, « Defying The Righteous Way », en
compagnie des immenses Lord Vicar, une superbe affiche assurément,
qui ne passait d'ailleurs pas en France, à part au Hellfest.
Mine
de rien, Cardinals Folly s'installe dans le paysage du doom-metal
avec une discographie conséquente et solide : cinq albums, deux
EP, deux-split LP. Et à chaque fois, on retrouve cette musique
inspirée, massive et obsédante. Le trio finlandais est mené par le
Count Karnstein alias Mikko Kääriäinen, en poste au chant et à la
basse. A ses côtés se tient Battle Ram à la batterie. Percussionniste inspiré, radical, et bien campé
dans le rythme, il fait oublier le fait qu'il est aveugle par sa
dextérité.
Les
guitaristes ont tourné depuis le début des années 2000, mais la
formation peut compter depuis 2012 sur Nordic Wrath, alias Juho
Kilpelä. On rappelle un peu les faits : le dernier album date
de 2017, il s'appelait « Deranged Pagan Sons », et
un split a vu le jour en 2019 avec Lucifer's Fall. Ce qui est plutôt
une belle cadence pour un petit groupe underground.
Que faut-il en retenir ?
Mais
que dit ce disque ? Eh bien, Cardinals Folly reste fidèle à
ses principes. Il joue du doom-metal brutal, inspiré principalement
par Candlemass, Pentagram, The Obsessed et Saint-Vitus. Cardinals
Folly a condensé les morceaux, à part sur le dernier, 'Strange
Conflict', de plus de neuf minutes. Il n'est pas question de longues
incantations comme pour Reverend Bizarre. Il y a les tempos, lourds,
mais aussi des morceaux plus speed et agressifs : 'Deranging The
Priest', 'Ultra-Violence'…
Il
y a aussi ces torrents de lave mid-tempo comme le magnifique 'Last
House On The Left'. En fait, Cardinals Folly a fait une seule
erreur : mettre 'Stars Align Again' en ouverture, qui est le
morceau le plus faible du disque. Oh, il n'est pas mauvais, sa montée
en puissance rattrapant de premières mesures peu inspirées.
Sinon,
c'est un très bon album dès le second titre ! 'Deranging The
Priest' est une cavalcade doom de premier ordre. Mikko Kääriäinen
chante avec sa voix à la fois théâtrale et profonde pour un si
jeune homme. Battle Wrath assure un rythme impeccable, Kilpelä équarrit
du riff hargneux. Il n'y a pas beaucoup de nouveauté par rapport aux
disques précédents, mais cela est en fait rassurant. Car cela veut
dire que Cardinals Folly maintient un niveau de qualité élevé
depuis ses débuts, et qu'il ne faillit pas. Mieux, 'Strange
Conflict' est une incroyable cathédrale de doom funèbre qui monte
en neige sous le vent glacial de la péninsule de Scandinavie. Les
Cardinals Folly viennent d'ajouter une superbe pierre à leur édifice
de doom-metal hanté et obscur.
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