15 juillet 2022. La France est écrasée de chaleur pour la seconde fois de l’année. Le thermomètre s’affole de toutes parts. Les incendies de forêt ont commencé à atteindre l’Est de la France, si verte et si humide autrefois. La photo stupéfiante de touristes sur les plages de Gironde avec au loin un feu de forêt symbolise toute la folie de notre temps. Et on avait tant rit de ces autres touristes, l’an dernier, sur les plages grecques, alors que le pays brûlait de toutes parts. Le monde s’éteint dans les flammes, et l’on parle de croissance verte, de transition écologique, de guerre, de gaz et de pétrole saoudien. Il semble que nous passions d’une catastrophe à l’autre, et ne règnent que le défaitisme et la colère face à l’impuissance, et à l’absurdité cynique de plus en plus criante de nos dirigeants.
Patrick Walker, paisiblement reclus dans sa campagne anglaise, a consacré le temps de la catastrophe précédente, le COVID, pour écrire un nouvel album de 40 Watt Sun. Avant la crise, il avait réanimé son précédent groupe de doom-metal, Warning, pour une série de concerts nord-américains. La fin de la pandémie l’avait vu ressortir sa guitare acoustique pour donner quelques prestations dans des lieux parfois originaux, comme des églises. Patrick Walker a depuis longtemps abandonné la course au succès. Il n’arrivera jamais, et il le sait. Il l’a sans doute d’ailleurs toujours su, le doom de Warning étant déjà largement anti-commercial pour trouver un quelconque débouché au-delà de la petite communauté du genre.
Perfect Light, un disque plein de mélancolie poétique
Mais il reste un personnage mythique, car la force de sa musique et de ses textes n’a aucun équivalent sur la scène. Les paroles sont essentielles, et en particulier la manière de les chanter. Le timbre profond de Walker articule ses mots avec une expressivité qui rend la musique presque accessoire. Warning, puis son groupe suivant, 40 Watt Sun, n’ont jamais bénéficié d’un seul solo de guitare. Il ne s’agit que de successions d’accords et de climats créant un écrin aux textes.
La musique fut d’abord ombrageusement électrique et lourde, orages de guitare et de basse. Puis, avec avec l’album « Wider Than The Sky », Walker avait bifurqué vers la guitare acoustique délicatement électrifiée. Fini les riffs lourds et fantomatiques. La musique s’habillait désormais d’atours folk. Le terme scientifique appliqué est slowcore. Je préfère le terme doom-folk, plus représentatif de ce que fait 40 Watt Sun. « Wider Than The Sky » était le dernier album en date du trio, le calcul est donc vite fait, il a fallu six longues années pour entendre un successeur : « Perfect Light ». Walker n’a jamais été trop pressé, mais peut se targuer de n’avoir que des chefs d’oeuvre à sa discographie, même constituée de cinq albums seulement en vingt ans. « Perfect Light » est inclus, car il en fait partie.
Après ces deux années de chaos sanitaire, beaucoup d’esprits furent calcinés psychologiquement. Le mélancolique Walker y trouva matière à alimenter son spleen. Et de poète de la mélancolie, il devient un auteur en résonance avec son temps. Lui, l’ermite, le reclus volontaire, qui fuyait ce monde idiot, se retrouve à mettre en musique la vibration du monde occidental. Soyons clair, Walker ne chante pas sur le COVID. Il n’en a que peu à faire des imbroglios politiques et de cette pandémie en particulier. Ce qui l’intéresse, ce sont les sentiments, ce qui se passe en lui comme en nous. Il a ce don pour retranscrire cette sensation d’abysse, de bord de précipice, là où tout peut basculer. ‘Behind My Eyes’ en est un très bon exemple, avec ce clair-obscur de sentiments.
Que faut-il en retenir ?
‘Until’ réveille l’âme doom-folk avec son tempo lourd et ses grands accords ouverts. Il s’agit presque d’une marche, là dans la lande, au-dessus des falaises où l’on aperçoit le vieux bateau abandonné de la pochette. C’est une musique de pluie, de brouillard, de vent, et de ciel gris. Un temps assez classiquement anglais finalement, quoique le réchauffement climatique pourrait nous faire mentir plus rapidement que prévu. « Colours » est une belle chanson folk qui rappelle les grands maîtres anglais du genre : Bert Jansch, John Renbourn, Roy Harper, Michael Chapman.
‘The Spaces In Between’ est l’un des grands chefs d’oeuvre du disque. Tout y est : la mélodie lancinante à la guitare, le piano délicat apportant une couleur dramatique, et la ligne de chant, où Walker laisse vibrer son fin trémolo. Basse et batterie, jouées respectivement par William Spong et Christian Leitch, apportent un soutien discret mais indispensable, presque jazz par le jeu aux balais. Walker y chante un amour inconditionnel, et l’obscurité personnelle qui s’interpose dans les sentiments.
‘Raise Me Up’ surprend par sa sonorité. Les guitares se croisent, acoustique et électrique, donnant un côté dark country-rock au morceau. Il est pourtant question de la nuit dans une rue de Londres et surtout d’un homme en mauvaise posture, cherchant à soigner les blessures qu’il a provoqué par sa bêtise. Et alors que la guitare électrique résonne, arpèges plein d’écho et d’électricité, on imagine ce pauvre gars, avec ses remords, sa volonté maladroite de se racheter. Qu’a-t-il fait ? Est-ce pardonnable ? Walker creuse dans l’âme humaine, laboure la douleur de ses beaux accords de guitare et de sa voix puissante et émouvante. On sent déjà une forme de résignation à la séparation devant la blessure engendrée.
‘A Thousand Miles’ est elle aussi une chanson de rupture. Là encore, il est question des rues de Dublin et de Londres, de rivières, et de miles parcourus. Walker met en parallèle la distance humaine et celle du voyage. « Ai-je traversé ta vie aveuglément ? » se demande Walker ou le personnage de la chanson. Il n’y a comme réponses que des cordes de pluie, sombre et froide. Là encore, un homme a fait du mal. Il se retrouve seul, réalisant peu à peu ses erreurs. La musique est faite de boucles qui se déforment, comme une ivresse, un vertige. Le brouillard s’éclaircit peu à peu au fur et à mesure du temps. Il est désormais clair qu’il n’y aura pas de retour en arrière, et que l’homme est désormais seul avec sa culpabilité.
‘Closure’ termine l’album sur une note folk anglais. Walker chante seul avec sa guitare acoustique. C’est la conclusion d’une séparation. John, dont il est question, se rend à l’évidence. Et malgré l’amertume, tout cela était mieux pour tout le monde. Un violoncelle vient enluminer la mélodie. Walker parle du côté d’une femme séparée, qui a encore de l’affection pour son ex-compagnon, mais ne reviendra pas en arrière.
Ce bel album se termine ainsi. « Perfect Light » se montre plus varié, entre doom-folk et folk anglais. On y retrouve un peu d’électricité, et quelques touches d’instruments supplémentaires. Le timbre de 40 Watt Sun et la patte de Patrick Walker sont indiscutables sur ce disque, dont le seul petit défaut est le titre ‘Reveal’, morceau un peu rébarbatif et manquant de cette pointe de magie. Le reste du disque est lui marqué du sceau Walker, qui apporte une nouvelle pierre à son œuvre.
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