Alors que je procrastinais quelque peu sur mon canapé en faisant défiler du bout de mon doigt les antres de la vie d’aujourd’hui sur les réseaux sociaux, mon facteur eut la bonne idée de déposer dans ma boîte aux lettres une enveloppe de forme carrée avec mon adresse écrite au stylo bille noir. Vue la texture du contenu, il s’agissait vraisemblablement d’un disque. N’ayant pour l’heure passé commande que du coffret Deluxe du Live Evil de Black Sabbath, il s’agissait d’un aimable envoi promotionnel. Derrière l’enveloppe, je pus lire le nom de mon expéditeur : Jean-Marc Devaux.
Lui et moi nous nous connaissons depuis presque vingt ans. Je ne sais pas si nous pouvons nous qualifier vraiment d’amis : nous avons eu l’occasion de discuter à plusieurs reprises lors de ses concerts sur Besançon, nous sommes issus de la même ville jurassienne, et nous partageons plusieurs connaissances communes sur les réseaux, ainsi que de nombreux chevaux de bataille musicaux. Mais surtout, j’avais eu l’infime honneur, lors de mes débuts de scribouillard musical dans Blues Again de chroniquer les deux premiers albums de son groupe de stoner-rock Astral Quest. C’était il y a presque vingt ans, et c’est là que nous avons fait connaissance, en échangeant suite à cette chronique. Le disque s’appelait Astral Quest, il était sorti en 2001. Lassé des exigences de puristes blues de mon magazine, j’avais décidé d’élargir le champ de mon écriture en alliant mon amour du stoner-rock et la touche blues de ce groupe jurassien. S’en suivra Electrick Shaman en 2007, qui fera plus que confirmer l’excellente tenue du premier album.
Ecoutant alors du stoner et du doom avant tout étranger (Sleep, Electric Wizard, The Heads, Kyuss, Fu Manchu…), j’avais été surpris par l’excellente tenue de ce trio jurassien venu de nulle part. Je fus encore plus étonné d’apprendre lors de nos correspondances par mails qu’en réalité, Jean-Marc Devaux ne s’était pas inspiré de la scène stoner pour créer la musique d’Astral Quest. Agé d’une quinzaine d’années de plus que moi, ses références étaient essentiellement psychédéliques et proto-heavy : Jimi Hendrix, Cream, Procol Harum, Nektar, Gong, Hawkwind… Moi qui naviguait alors entre les unes et les autres, j’ai fini par découvrir les passerelles évidentes entre ces différentes générations de musiques acides.
Et puis il n’y aura plus rien. Astral Quest jeta l’éponge. Par un réflexe facile de rock-critic, je pourrais expliquer cette sombre issue par les inévitables dissensions musicales. Mais si ce fut le cas, c’est surtout que Astral Quest ne trouvait pas son public que ce soit dans la région Franche-Comté comme dans le reste du pays. La psychédélie, le stoner-rock, les subtilités blues et psychédéliques n’étaient décidément ni de ce pays ni de cette époque. Jean-Marc Devaux poursuivit néanmoins sa trajectoire musicale dans un registre plus blues-rock avec les Hipshakers et Cosmix Banditos. Néanmoins, il resta une petite légende locale du son acide, ce qui lui permit de jouer à la seconde édition du Swamp Fest organisé par les frangins Petit du Bar de l’U à Besançon, fervent repère de concerts doom et stoner de la cité bisontine. Avec le temps, nous sommes devenus un petit club d’amateurs qui conservent un lien permanent, invisible. Même si on ne s’est pas vu depuis des mois, la discussion reprend comme si elle n’avait jamais cessé, et l’on s’échange des références pointues que nous seuls comprenons. A vrai dire, il ne s’agit nullement d’élitisme. Après tout, le Bar de l’U organise des concerts ouverts à tous avec des artistes qu’ils aiment, j’écris sur les disques qui me marquent, Jean-Marc joue la musique qui le fait vibrer. Et tous, nous tentons de la faire partager au plus grand nombre. Mais force est de constater que souvent, nous prêchons dans le vide.
Groundshaker, le retour des guerriers acides
Ceci étant, Jean-Marc Devaux a décidé de réanimer l’entité Astral Quest en 2023. Et après cette longue introduction, vous commencez à distinguer toutes les images qui commencent à défiler dans ma tête. Oh, restons calme ! Ce retour ne se fait pas sous la houlette d’un label Metal allemand puissant ou d’une major ayant décidé de parier cent mille euros sur ce groupe mythique. Les Astral Quest composé de Devaux à la guitare et au chant, de Vincent Fauvey à la basse et Serge Migneret à la batterie se sont réunis dans les studios du Bastion à Besançon, un ensemble permettant aux formations locales de la région de répéter et d’enregistrer. La chose est basée dans une ancienne tour Vauban en pierres de taille, qui fut dans les années 1980 un squat punk officialisé par la municipalité la décennie suivante.
C’est dans ce lieu chargé d’histoire musicale locale qu’Astral Quest a accouché de son troisième disque. La prise de son n’est à ce titre pas à reprocher, si ce n’est un petit manque de puissance aux niveaux des basses. Les lignes de basse de Vincent Fauvey auraient largement mérité d’être mises en avant à la Jack Bruce dans Cream. Cependant, la sonorité est chaude et ronde. Et il faut le dire tout de suite : cet album a une patte blues incontestable et plus prononcée par rapport à ses prédécesseurs. D’entrée, on ne s’en étonnera pas : ayant à ferrailler sur des terrains plus balisés, Devaux a affûté son esprit blues-rock, et c’est bien cette sonorité qui domine. Mais il ne s’agit pas d’un disque de blues un peu plan-plan : il y transpire Hendrix, Clapton, Free, et Taste.
Que faut-il en retenir ?
Le toucher de guitare a incontestablement fait des progrès : certes moins exubérant, il est plus fin, plus expressif aussi. Cela se distingue notamment sur « You’re Wrong ». Si l’attaque semble moins hard, il ne faut pas trop se fier à l’eau qui dort. « Ground Shaker, Light Bringer » ou « You Have Lost Your War » grognent avec ferveur. La voix de Devaux dotée de son falsetto étrange tranche avec le côté brutal du riff. La batterie de Migneret aurait pu être plus massive, plus puissante, plus Ginger Baker. Mais en fait, elle rappelle celle John Coghlan de Status Quo sur leurs deux premiers albums boogie teintés de psychédélisme : Ma Kelly’s Greasy Spoon en 1970 et Dog Of Two Head en 1971. Sur ces deux disques, elle consistait en une rythmique blues solide et de multiples roulements de caisses et de cymbales sonnant comme des clapotis frénétiques dans une mare saumâtre. Au final, il est hors de question de contester cette sonorité. On y retrouve un peu de cette patte, et en même temps, vous avez remarqué que nous avons ajouté une référence pointue à ce disque avec la plus grande élégance.
« A New Start » a la rudesse d’un boogie mêlée à un blues heavy à la Mountain. Il est le point de départ d’une phase finale de disque particulièrement turbulente et créative. « Things Are Gonna Change Someday » a cette pointe d’ironie typiquement britannique, et sur lequel glapit une wah-wah de feu. « Cosmic Crystal Music » sonne comme les premières hallucinations acides de Pink Floyd. « Cosmic Gate 3 » rappelle Hawkwind avec son côté cosmique et tranchant, et en prime, un superbe solo dans les étoiles. Les quatre derniers morceaux sont une succession de galops sonores particulièrement bien menés : « The (Still Untold) Saga Of Our Cosmic Rush », « Innerspace And Outerspace (Melt Into One) », « Listen To The Colour Of The Sea ».
Groundshaker est l’inespéré et beau retour d’un groupe désormais culte de la scène rock française à l’identité très particulière. Plus dense musicalement parlant, cet album démontre que le temps n’aura pas émoussé le mordant de Jean-Marc Devaux, accompagné de ses deux nouveaux sergents intergalactiques.
0 Commentaires