L’été est historiquement une période complexe pour les médias nationaux. Les programmations radios et télévision passent en grilles d’été, les animateurs et journalistes stars sont en vacances. C’est la période des reportages de vacances, sur des petits territoires pittoresques de France, ou des touristes qui se prélassent sur des plages, les enfants mangeant des glaces. Depuis quelques années, le réchauffement climatique gâche la belle fête de la belle insouciance touristique avec ses tornades de feux, ses canicules et ses orages cataclysmiques, et ce jusque dans les îles où se prélassent les riches : Rhodes, Ténérife…
La presse musicale passe elle aussi en position vacances, avec souvent des numéros double d’été. Cette année, le grand sujet aura été la polémique lancée par Juliette Armanet dans une interview sur la chanson « Les Lacs Du Connemara » de Michel Sardou, et la musique de ce dernier en général, qualifiée « de droite ». Ce débat inepte aura agité réseaux sociaux et petits plateaux de télé droitards, pour pas grand-chose par ailleurs. Dire que Sardou est de droite est un pléonasme.
On constate que les choses ont finalement assez peu changé depuis l’époque des galères des Variations, de Little Bob Story, de Ganafoul, de Trust ou de Vulcain entre les années 1960 et aujourd’hui. Il semble cependant que la petite fenêtre d’exposition qui existait dans la presse musicale pour les groupes français dans les décennies précédentes s’est réduite comme une lentille focale.
Doomed & Stoned In France, un bilan salvateur de la scène doom et stoner française
C’est bien dommage, car la scène française est aujourd’hui l’une des plus belles d’Europe. Peu de gens le savent, puisque personne n’en parle. J’ai déjà abondamment cité Slift ou Decasia, chroniqués dans ces pages. Mais la scène underground stoner & doom est particulièrement active, avec une propension de plus en plus grande aux textes en français. Comme dans les années 1980, la nouvelle scène a décidé de reprendre le tapis de bombes métallique anglo-saxon et le mettre à son goût. Cela donne notamment des textes lettrés, et à l’articulation plus complexe que l’équivalent en anglais. Doomed & Stoned (Vol. 2) est une fantastique sélection des meilleurs groupes actuellement sur le circuit.
Les textes en français claquent comme des coups de fouet. Barrabas frappe très fort avec l’hymne « le Saint Riff Rédempteur ». Brüle offre « Dans Le Creuset », un doom-metal poisseux et inquiétant, dont le chant serpente comme une inexorable invasion de poix. Mauvaise Foi fait rugir un riff quasi black-metal pour « Banalité Du Mal », dont le chant est tout aussi malfaisant. Cerbère délivre avec « Sale Chien » un morceau de stoner-metal instrumental sale et goudronneux, et Silver Gallery, son « Ode Au Travail », narquois et sombre.
La majeure partie des groupes ont cependant fait le choix de l’anglais. On peut largement les comprendre : l’avenir ne se fait pas en France, mais a-minima en Europe où la communauté stoner-doom est la plus importante. La sélection comprend « Song For The Glory » des parisiens de Rising Dust, extrait de leur ultime EP de 2010. Le retour de ce groupe absolument génial est désespérément attendu, son nouvel album et de futurs dates de concerts étant toujours en projet imminent. Les mecs, on a besoin de vous.
Que faut-il en retenir
Cette compilation offre de multiples pépites, qui seront aux goûts de chacun. Car elle pétrit l’ensemble de la scène possédée par les démons, les films d’horreur, des vieux vinyles de Budgie, Sir Lord Baltimore, et Pentagram. Il s’agit aujourd’hui d’une petite bande malfaisante qui propose des groupes impressionnants comme Cairns ou Monas. Dionysiaque délivre une prestation possédée, portée par le chant diabolique de Nathaniel Colas, entre un Messiah Marcolin et un Pavarotti possédé par l’acide, hurlant les yeux révulsés au fond d’un bois, fuyant des démons. « Evohe » est un des grands sommets de cette compilation. L’album est imminent, et devrait être une des grandes réalisations du rock français.
Öfö Am utilise avec finesse les synthétiseurs, dans un esprit psychédélique rappelant Heldon, le majestueux groupe français de Richard Pinhas. Monolithe mêle doom psychédélique et atmosphères dark-doom. Au rayon du stoner-metal acide, signalons Psych Out, Fatima et Oda. Outre Rising Dust, on trouve aussi dans les rangs de cette compilation les géants parisiens de Conviction, avec le dantesque et massif « I’ll Go On Alone ».
Bien d’autres merveilles se cachent sur cette double compilation. Citons encore « Narconaut » de Verdun, avec son ambiance mélancolique et crépusculaire, et ses riffs assassins. Gnôle délivre un puissant doom-metal nommé « Locked Up » sur lequel se pose un chant enragé et possédé, à la limite du black-metal. Le mélange fonctionne à merveille.
Tous ont à coeur de délivrer une musique personnelle, une identité sonore qui est leur. Ils évitent ainsi l’écueil régulier dans le stoner-rock de formations ressassant des formules trop usées à base de Kyuss et Fu Manchu, ou de Pentagram pour le doom. On sent qu’une vraie scène originale est née depuis dix ans, et qu’il était temps de la célébrer. Cette compilation de quarante-trois morceaux permet de se faire un aperçu précis du bouillonnement musical qui est en train rugir dans les tripes de ce pays à la dérive.
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