Mais pourquoi est-on parti ? La lassitude, le manque d’interaction, la sensation d’avoir atteint un plafond, sans doute. On est parti quoi. Et nous revoilà. Parce qu’en fait, la presse musicale s’effrite, parce qu’il n’y a pas grand-chose en France pour parler de stoner, de doom, de psychédélique (enfin, coucou Desert-rock.com, Doomed and Stoned, Doom Charts), et qu’il s’avère que la scène n’a jamais été aussi riche. Le rock’n’roll est en fait bien vivant, mais les médias classiques ne pointent que rarement leurs projecteurs sur des groupes talentueux et originaux. On pourrait évoquer les raisons : publicités, fainéantise, conformisme… Mais voilà, depuis des mois, je reçois plein de disques super, et je ne sais pas où en parler, hormis au compte-goutte sur un de mes médias. Et il s’avère que c’est souvent du style stoner et doom. Et nous avons mis en arrêt un des médias qui permettait d’en parler. Et les disques ont continué à arriver, souvent brillants. Et le site a continué à être tagué. Et nous, on était assis sur notre cul à se dire que ça n’avait plus de sens, alors qu’au contraire, cela en avait, et de plus en plus. Alors nous revoilà, à défendre à nouveau la cause, à parler de ce que l’on aime, et d’en parler longuement, peut-être trop, parce que si on ne le fait pas, trop rares sont ceux qui parlent de ces groupes, de cette musique, qui est en fait le vrai coeur du rock’n’roll moderne. Bienvenue sur La Planète Du Stoner-Rock les amis !
Tiens, voilà bien une raison de remettre en route ce site. Lorsque que Guillaume de Klone m’a envoyé ce disque, me harcelant pour me demander si j’allais en parler, je lui ai répondu que oui, mais intérieurement, je me suis dit : où ?
Wizard Must Die est parfaitement à sa place chez nous. Ce groupe fondé en 2013 a déjà quelques disques derrière lui : le EP The White Album en 2016, le premier album In The Land Of The Dead Turtle en 2018. Il est constitué de Florent Michaud à la guitare et au chant, d’Enguerand Dumas à la basse et de Robin Aillaud à la batterie. Le trio est lyonnais et il a déjà une grande cote de sympathie pour moi, qui aime le rock de la ville depuis Ganafoul et Factory.
Wizard Must Die propose un stoner-metal inspiré de Elder, progressif et ambitieux, et cela est assez rare dans le pays. Slift a largement contribué à répandre cette ambition sonore, se fichant de ce que pouvait penser les médias mainstream voulant du chant en français et de la niaiserie de deux minutes et trente secondes. Il faudrait parler de la nullité des médias musicaux, qui passent leur temps à passer à côté de ce genre de groupe pour encenser des copains, des groupes commerciaux dont le label paye sa pub… et qui rend la critique totalement assujettie à certains canaux, rendant inaudibles les formations originales et indépendantes qui tentent d’exister de toutes leurs forces.
In The Land Of Dead Turtle était un très bon disque de stoner-metal qui passa pour ma part inaperçu, alors que j’étais pourtant dans le circuit et que j’avais créé une page consacrée au stoner dans le magazine Jukebox Magazine disparu en 2020. Il est fort probable que Wizard Must Die ait vu son activité fortement réduite, voire mise à néant par la crise du COVID. Que le groupe s’en soit remis, comme Slift, Fuzzy Grass ou Supertzar est un miracle. On a tous souffert, et le bilan sera long à établir. Il sera en tout cas le terreau fertile qui va alimenter bien des groupes, et peut-être que c’est cela qui explique le sursaut créatif de ces douze derniers mois.
Lyon a longtemps été une ville ouvrière, mais cette facette s’est beaucoup atténuée pour en faire une ville de bobos, comme Paris et toutes les grandes villes françaises, de Marseille à Bordeaux. Les riches nous boufferont, c’est un fait. Ils passent leur temps à nous exclure de nos villes, et à récupérer les codes culturels du prolétariat. Le heavy-metal était un de ceux-là, il est aujourd’hui devenu synonyme de place dans le carré or à deux cent balles et de Mainstage au Hellfest avec des designers web saouls déguisés en Pikachu.
Wizard Must Die fait partie de ces groupes qui ont une haute estime du rock’n’roll. Comme Slift, il développe des morceaux à tiroirs dépassant les dix minutes et aborde des thèmes intellectuels peu évoqués, exactement comme le fit par exemple Camel avec The Snow Goose en 1975.
cet album est-il bon ? Acceptable ? Il est excellent, et il n’a que trop attendu sur mon bureau. Nous devrions gonfler immédiatement la poitrine à l’écoute d’une telle musique, riche et originale. La prise de son est également fantastique, à la fois live in the studio et d’une netteté d’écoute rare. Il prend à la gorge dés « The Breach », qui débute comme un morceau stoner-blues californien un peu branlant, avant de décoller avec un riff mordant et un tempo speed. De ce thème simple d’origine, le titre décolle vers des horizons bien plus majestueux.
« The Disappearance Of Camille Saint Saëns » montre ensuite les ambitions sonores nouvelles de Wizard Must Die. Ce titre de douze minutes qui aborde la vie du pianiste et compositeur à succès Camille Saint-Saëns, né en 1835 et mort en 1921, est une épopée sonore fascinante, d’une grandeur époustouflante . Wizard Must Die a le culot d’un Rush avec 2112 et s’en sort à merveille. « Flight 19 » poursuit dans cette voie, avec un goût King Crimson période 1973-1974 plus accentué et des touches de Wishbone Ash par-ci par-là, le tout largement métallisé. C’est du niveau d’un Elder, et c’est loin d’être anecdotique.
Pour ce disque, Wizard Must Die s’est lancé dans un nouveau défi : celui d’enregistrer un morceau en français. « L’Or Des Fous » est une vraie réussite qui croise Océan et Ange. La langue roule parfaitement sur la musique, exactement comme le langage anglais, plus facile à jouer quand on fait du rock’n’roll. Un beau clip a même été conçu pour cette chanson originale et très réussie.
« Clouds Are Not Spheres » et ses presque dix minutes sert de conclusion. Il débute un peu comme du Queens Of The Stone Age, avant de décoller vers quelque chose de plus grand, de plus épique. Le thème doom-metal en son centre est absolument génial. Wizard Must Die sait faire rebondir un morceau, et ne pas perdre son auditeur sur plus de neuf minutes. Le trio a même fait intervenir des cuivres jazz sur le pont central du morceau, fricotant avec le jazz-rock moderne.
L’Or Des Fous est un excellent disque, puissant et original. J’ai mis trop de temps à en parler. Dans un monde parfait, Wizard Must Die, Slift, Supertzar, Barabbas et Dionysiaque devraient tourner sans répit dans l’Hexagone. Mais voilà, nous sommes en 2024 et François Bayrou est premier ministre. Que le rock’n’roll nous sauve, par pitié.
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