Ça fait quelque chose de réécrire une chronique depuis plus d’un an. Si cette aventure continue, c’est à cause de Julien Deléglise qui m’a envoyé des messages il a quelques temps pour me dire « j’ai écouté pas mal d’albums dernièrement et j’ai envie d’écrire dessus et de publier… en plus on avait un site qui tournait pas mal… est-ce que ça te dérange si je publie dessus ? ». Si vous lisez ces lignes, vous avez devinez ma réponse. Et j’ai la joie de pouvoir écrire sur un de mes groupes préférés : les belges de Wyatt E qui sont revenus en ce début d’année avec un nouvel album !
Lorsque l’on plonge dans « Zamāru ultu qereb ziqquratu, Pt. 1 », on ne s’aventure pas seulement dans une œuvre musicale. On s’enfonce dans une expérience quasi-métaphysique, une quête sonore qui semble convoquer les fantômes d’une Mésopotamie oubliée, où le temps se dilate et où les murs des ziggourats résonnent encore des chants des prêtres et des battements de tambours rituels. Le collectif belge, déjà salué pour son approche visionnaire du post-rock et doom, signe ici une œuvre monumentale et captivante, un voyage qui embrasse à la fois l’intime et l’épique.
Une ascension sonore au sommet de la ziggourat
Le titre, intriguant et mystérieux, est un premier appel au décentrement. “Zamāru ultu qereb ziqquratu” – littéralement, “Chanter depuis le cœur de la ziggourat” – est en lui-même une clé d’interprétation, une invitation à pénétrer un espace sacré où la musique ne se contente pas d’être jouée, mais devient un rituel. Dès les premières secondes, Wyatt.E tisse un univers sonore dense, fait de nappes atmosphériques, de drones vibrants et de rythmes incantatoires qui semblent tout droit surgir des profondeurs du temps. Ce n’est pas un album qui se contente d’être écouté ; il exige que l’on s’abandonne à lui, comme à un mantra ou à une cérémonie.
Wyatt.E excelle dans l’art de la lente montée en puissance. Les morceaux, souvent longs et construits en strates, prennent leur temps pour déployer leur pleine amplitude. On y retrouve une construction presque cinématographique, où chaque note, chaque silence est une pièce du puzzle émotionnel que le groupe nous invite à assembler. Les guitares se fondent dans des percussions tribales, les basses grondent comme des tambours de guerre, tandis que des instruments traditionnels du Proche-Orient surgissent pour apporter une touche organique, une âme supplémentaire à cette architecture sonore.
Ce qui frappe, c’est la capacité du groupe à équilibrer tradition et modernité. Bien que les références à l’Antiquité soient omniprésentes – que ce soit dans les titres des morceaux, dans les textures sonores ou dans l’atmosphère générale de l’album – la production, elle, est résolument contemporaine. Chaque élément est travaillé avec une précision d’orfèvre, chaque effet sonore est calibré pour sublimer l’ensemble. Le groupe maîtrise l’art de jouer avec l’espace : certains passages sont si dépouillés qu’ils laissent l’auditeur suspendu, dans un silence presque oppressant, avant que la musique ne revienne l’engloutir dans un déferlement cathartique.
Il est impossible de ne pas évoquer l’aspect spirituel de cet album. Il ne s’agit pas d’une œuvre strictement religieuse, bien sûr, mais plutôt d’un voyage initiatique, d’un pont tendu entre le sacré et le profane. La musique de Wyatt.E résonne une tentative de se reconnecter à quelque chose de plus grand que soi. Les motifs répétés, presque hypnotiques, évoquent les psalmodies des prêtres mésopotamiens, tandis que les crescendos dévastateurs semblent mimer l’ascension physique et symbolique d’une ziggourat. Écouter cet album, c’est gravir ces marches invisibles, avancer pas à pas vers un sommet inconnu, porté par une force qui dépasse l’entendement.
Et pourtant, derrière cette monumentalité apparente se cache une profonde humilité. Wyatt.E ne prétend pas offrir des réponses ou des vérités. L’album est rempli de mystères, de zones d’ombres, de silences qui en disent autant que les explosions sonores. On sent que le groupe a conçu cet opus comme une offrande, un espace à investir librement. L’auditeur n’est pas un simple spectateur, mais un participant actif, invité à projeter ses propres émotions, ses propres images sur la toile sonore.
Le dernier morceau de l’album, laisse l’auditeur dans un état de suspension. Il y a une montée en tension, un crescendo qui semble promettre une résolution, mais qui, au dernier moment, s’efface pour ne laisser qu’un vide fertile, un espace où l’imaginaire peut continuer à vagabonder. Cette fin ouverte est une déclaration en soi : « Zamāru ultu qereb ziqquratu, Pt. 1 » n’est que la première moitié d’une œuvre plus vaste. Wyatt.E ne nous offre pas une conclusion, mais une invitation à attendre, à espérer, à rêver.
Conclusion
Avec cet album, les belges prouvent une fois de plus qu’ils font partie des rares groupes capables de transcender les limites du drone/post-rock pour créer quelque chose d’unique, à la croisée des genres et des époques. C’est une œuvre exigeante, qui demande du temps et de l’attention, mais qui, en retour, offre une expérience inoubliable, un voyage sonore qui nous transporte bien au-delà des frontières du quotidien. Et si le cœur de la ziggourat était le nôtre ?
L'avis en plus :
Wyatt E est un groupe unique qui permet de voyager dans des contrées imagées sumériennes. Leur mysticisme et leur touche orientale allié aux riffs envoûtant permettent à l'auditeur de voyager très loin dans l'espace et le temps - Kevin.
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