DIONYSIAQUE - Transmutation Of Dionysiaque (Evil Demos & Dark Recordings 2014-2022) et Diogonos

 


Photos par Nyxlys et Julien Deléglise

Lorsque l’on aime le heavy-metal en France, il faut avoir la foi. On me dira qu’il y a des festivals comme le Hellfest ou le Motocultor, que le genre se porte bien en 2025. Certes, il continue à attirer du monde. Mais quel public se trouve devant la Main Stage ? Des cadres sups en goguette, déguisés en Pikachu et défoncés au muscadet. Les vrais fans se reportent désormais sur les scènes annexes, où le vrai heavy continuent de se jouer, mais pour combien de temps ? Car lorsqu’il faut faire un concert en province pour un petit groupe doom-metal comme Dionysiaque, aussi créatif et original soit-il, où est le public, les organisateurs, les salles ? On semble presque revenu à l’époque des années 1960, où le rock n’existait pas, mais à cela près qu’il y a ce vernis culturel et cette fausse ouverture d’esprit, cette hypocrisie constante des gens assis sur leur cul à une bonne place et incapable d’aller chercher ailleurs que dans leur petit monde.

Je ne vais pas encore m’énerver sur tout cela, je le fais assez régulièrement, et je ne vais pas me rendre malade. Mais bon dieu, que cela fait chier d’avoir une myriade de bons groupes qui s’échinent dans le monde, et notamment en France, à produire et enregistrer de la musique originale et de qualité, et d’être constamment doublés par des nullards bien placés, parce qu’ils sont « locaux », ou ils connaissent un tel ou un tel. Seule la qualité de la musique devrait primée, c’est tout. Et surtout, on devrait laisser une chance à des groupes qui ont soif de jouer sur scène.


Dionysiaque est passé le 19 janvier 2024 aux Passagers Du Zinc à Besançon, un petit bar-club musical qui a le mérite de s’ouvrir à la scène métal. Coincés entre deux groupes dits punk, le second ajoutant du rap rebelle de cour de récré, Dionysiaque a tout cassé devant la poignée de spectateurs restés pour eux. Le quintette a été impérial, charismatique, puissant. Par la suite, Nathaniel, LB et Lethal, respectivement chanteur, guitariste et bassiste du groupe, m’ont confié qu’ils avaient mal joué. Ils n’avaient pas répété depuis des mois. Mais très clairement, pour le néophyte, et par rapport à la concurrence de ce soir-là, ils étaient deux têtes au-dessus. C’est aussi cela l’exigence. Le groupe jouait ce soir-là à Besançon car leur batteur Thomas Hagmann en est originaire. Mais plus globalement, Dionysiaque est un groupe alsacien, membre d’une scène stoner-doom-black metal très active.


Les Dionysiaque doivent conjuguer leur passion de la musique heavy et un boulot alimentaire, c’est le lot quotidien de ceux qui décident de ne pas prendre le chemin de la soupe commerciale. Nathaniel aurait pu faire le chanteur de metal sur de l’electro, comme l’a fait Julien Doré il y a quelques années de cela à la Nouvelle Star. Mais il est un pur, de ceux qui aiment se noyer dans les vieux disques obscurs de heavy-rock 70’s, de death, de doom et de black-metal des années 1980-1990. Il a trouvé un frère d’arme en la personne de LB, mystérieux guitariste parfaitement en phase avec lui, mais avec une petite dizaine d’années d’âge de moins. C’est que ce genre d’animal se fait rare dans les générations successives. Bruno « Penz » Penserini est devenu le second guitariste lead, Lethal Von Lethal le bassiste et multi-instrumentiste, et Thomas Hagmann le batteur. La petite équipe a la petite trentaine, Nathaniel Colas est le plus ancien, la petite quarantaine, sympathique bonhomme aux cheveux noirs se teintant de sel, sorte de Alex Harvey métal.

L’histoire du groupe remonte à 2014, et la première démo date de 2018, sortie en cassette audio. Toutes les bandes de Dionysiaque pré-album sont désormais disponibles sur l’album qui vient de sortir nommé Transmutation Of Dionysiaque (Evil Demos & Dark Recordings 2014-2022). On y découvre un groupe déjà solidement affûté, avec une identité sonore bien à lui, qui doit à beaucoup, mais ne ressemble à personne.

Sur ce disque, on trouve plusieurs reprises très représentatives des mamelles nourricières de Dionysiaque : « This Body, Thy Bomb » de Cathedral, « All Ends Up » de Tractor, duo proto-hard-rock du début des années 1970, et « La Mort Multicolore » de Melmoth. Ce dernier est le faux-groupe de Daniel-Louis Théron, qui se fera par la suite appelé Jack-Alain Léger en littérature et Dashiell Hedayat en musique. L’homme est un précurseur de la musique heavy-psychédélique en France. L’unique album de Melmoth, La Devanture Des Ivresses, date de 1969. Sur ces trois reprises, Dionysiaque imprime son âme. Sur cette dernière chanson, Nathaniel Colas pose son timbre opératique et déclamatoire qui rend le texte original encore plus puissant. Le titre est ici allongé par rapport à sa version originale, avec une partie doom épique supplémentaire du plus bel effet. Il en ressort magnifié, encore plus sombre et poignant. Comme sur la pochette de La Devanture Des Ivresses, les Dionysiaque vivent dans la grisaille brouillardeuse de l’Alsace, et la mélancolie romantique est une composante de leur personnalité.


Mine de rien, le groupe n’a pas chômé avec une première démo quatre titres dès 2018, des apparitions sur des compilations en 2019, et une seconde démo de quatre titres en 2021, enregistrée en janvier 2020, juste avant la purge du COVID. Le groupe est déjà capable de ces étranges envolées doom vintage et psychédéliques sombres comme sur la seconde partie de « Think God Out Of Existence » : Celtic Frost et Captain Beyond s’entrechoquent avec brio. La sortie de cette compilation est plus que salutaire, car elle permet de réunir une somme de travail tout à fait considérable, qui méritait bien un album en soi. Il y a aussi des choses plus simples d’approche, comme « The Blazing Bull » qui croise Black Sabbath, Buffalo et Darkthrone. « Meta Incognita » a cette saveur mêlant Pentagram, Mountain, et Leaf Hound.

Et puis, en mars 2024, Dionysiaque sort son premier album, ses démos étant alors totalement confidentielles. Diogonos arrive avec une musique encore plus aboutie. Paul Chain Violet Theatre s’est ajouté à l’équation sonore, ainsi que des pépites heavy-thrash comme Venom, Bathory, Cirith Ungol, et Witchfinder General. Le groupe n’a pas perdu son âme initiale, mais s’est encore enrichi, rendant sa musique toujours plus obsessionnellement qualitative. Mais, et c’est là l’art des grands, il n’est pas besoin d’avoir toutes ses références musicales pour les comprendre. Les titres de Diogonos défilent avec fluidité, portés par un groove unique signé Lethal et Hagmann, et sur lequel flottent les guitares magiques de LB et Penz. Nathaniel Colas vocalise avec excellence, allant de l’opératique un peu troublant au chant death et thrash selon l’atmosphère voulue. C’est cela la grande qualité de Dionysiaque : il a la capacité de pouvoir tout jouer avec talent, et de passer d’une atmosphère à l’autre avec une facilité déconcertante. Dès « By The Styx », on passe du doom funéral au black-metal, avec quelques touches heavy-rock seventies au milieu. Et tout coule de source.


« Violet Venom » est le titre le plus imbibé de Paul Chain, mythique guitariste italien du premier line-up de Death SS puis fondateur de son Violet Theatre. Dionysiaque a compris son approche entre théâtralité italienne et doom noir. Penz et LB se répondent sans cesse en twin-guitars, du grand art. « Ad Nauseam » surgit avec une atmosphère entre black-metal et new wave à la Killing Joke. Il y a de la wah-wah, et toutes ces sortes de choses improbables qui rendent la musique de Dionysiaque passionnante.

« Vineyard And Ivy » est un spectaculaire morceau de doom-metal à la Darkthrone, mais avec quelques incrustations heavy-blues sixties. On y entend au fond de la composition à la Budgie, notamment. Le titre se déroule sur presque dix minutes, ce qui montre l’ambition nouvelle de Dionysiaque de développer toujours plus ses thèmes musicaux. « Requiem » permet à Lethal Von Lethal de surprendre en jouant de la trompette, avant que le doom-metal possédé ne revienne avec « Evohe ». C’est encore capital, sans concession. On éloigne les cons, on joue brutal avec goût. « Sparagmos » termine le disque de la plus belle des manières avec un morceau doom-metal sombre et rampant.

L’album a fait son chemin depuis sa sortie, et leurs prestations scéniques ont assis leur réputation, Dionysiaque étant un groupe charismatique, puissant et brillant. On ne revient pas intact d’un concert de Dionysiaque, et cela est la marque des grands musiciens, à l’instar d’un Slift. Leur second album est en cours de préparation, et l’attente devient fébrile, car le groupe a le potentiel d’aller très loin, et de devenir le successeur tant attendu de Black Sabbath.







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