Les écrits désertiques #5 : Welcome to Sky Valley de Kyuss

 


Il y a des albums qui ne se contentent pas d'exister : ils redéfinissent un genre, tracent une route et s'érigent en monuments. « Welcome to Sky Valley » de Kyuss est de ceux-ci. Sorti en 1994, ce disque est bien plus qu’un simple album de stoner rock : c’est un rituel initiatique, une immersion totale dans les étendues brûlantes du désert californien, là où le rock devient une expérience sensorielle. Il est impossible de parler de stoner rock sans évoquer « Welcome to Sky Valley », tant son empreinte est indélébile sur tout ce qui viendra après.


Si la carrière de Kyuss a été éphémère (peut être pour son bien), son empreinte sur le stoner rock (et plus généralement sur rock) est indélébile. Deux ans après l’excellent « Blues for the Red Sun », le groupe rempile avec cet album qui est encore plus abouti, tant au niveau des compositions que de cette identité sonore lourde et hypnotique. La formation est composée de Brant Bjork à la batterie, John Garcia au chant, Scott Reeder à la basse et de Josh Homme à la guitare : elle atteint une alchimie presque parfaite entre groove, lourdeur et sensation de liberté.


Dès les premières secondes de « Welcome to Sky Valley », une chose est claire : ce disque n’est pas une simple succession de morceaux. Kyuss veut nous faire vivre un voyage, et pour ça, ils découpent l’album en trois parties (officiellement, l’album ne contient que trois pistes numérotées I, II et III, chacune regroupant plusieurs morceaux). Cette conception visait à encourager une écoute continue de l’album, sans interruption. Les notes de pochette de l’album invitaient d’ailleurs l’auditeur à « écouter sans distraction ». Malheureusement, pour des raisons marketing, l’album a été divisé, de façon classique, en plusieurs morceaux.


Welcome to Sky Valley : un son tellurique, une atmosphère unique


Si « Welcome to Sky Valley » est aussi culte, c’est avant tout pour son son massif et organique. Josh Homme, futur leader de Queens of the Stone Age, prouve ici qu’il est un architecte sonore hors pair. Son jeu de guitare, réglé sur des amplis poussés à l’extrême et accordé en do, offre un son épais, granitique, presque volcanique. Il ne cherche pas la virtuosité, mais l’efficacité brute, alternant riffs pesants et envolées psychédéliques avec un naturel déconcertant.


La section rythmique, elle, est monumentale. Scott Reeder, bassiste à la fois subtil et puissant, tisse des lignes qui enveloppent et amplifient la lourdeur de l’ensemble. Brant Bjork, batteur et principal compositeur de l’album, joue avec une nonchalance groovy qui donne au disque ce balancement si particulier, entre torpeur et explosion. Et puis, il y a John Garcia, dont la voix rocailleuse et incantatoire semble surgir d’un mirage, comme un prédicateur perdu au milieu du désert.


Chaque morceau de l’album est une pierre angulaire du stoner rock, une ode au lâcher-prise et à la puissance tellurique du son. L’album s’ouvre avec “Gardenia", un riff massif qui impose immédiatement une lourdeur irrésistible, suivi de “Asteroid”, une jam instrumentale hypnotique où la guitare semble résonner comme un écho du désert. Avec “Supa Scoopa and Mighty Scoop”, le groupe joue sur des contrastes saisissants entre riffs écrasants et envolées aériennes, tandis que “100°” accélère brutalement le tempo, injectant une énergie brute et urgente.


Au milieu de cet orage électrique, “Space Cadet” offre un moment suspendu, une ballade acoustique planante, presque méditative, avant que “Demon Cleaner”, morceau culte, ne vienne réinstaller une tension hypnotique avec son groove implacable. La dernière partie de l’album enchaîne des compositions toujours plus denses et abrasives : “Odyssey” et “Conan Troutman” prolongent l’exploration sonore avec des structures explosives, tandis que “N.O.” (reprise du groupe Across the River) apporte une dose supplémentaire de sauvagerie. Enfin, “Whitewater”, titre final de plus de neuf minutes, clôt le voyage dans un tourbillon sonore, laissant l’auditeur lessivé mais conquis.



Une influence considérable et pour l'éternité


« Welcome to Sky Valley » n’a pas seulement marqué son époque : il a influencé des générations entières de musiciens, du stoner pur et dur (Fu Manchu, Truckfighters, Orange Goblin) aux groupes plus alternatifs. Il a défini l’esthétique sonore et visuelle du stoner : ces images de longues routes désertiques, de vieilles voitures rouillées et de jams sous la pleine lune. Mais surtout, cet album ne vieillit pas. Trente ans après sa sortie, il reste une référence incontournable, un disque qui continue d’aspirer l’auditeur dans son vortex brûlant. Il est l’illustration parfaite d’un rock libre, sauvage, organique, dénué de tout artifice.


Si vous ne l’avez jamais écouté, coupez tout, mettez un casque, et laissez-vous engloutir par « Welcome to Sky Valley ». Une fois le voyage terminé, vous ne verrez plus jamais le rock de la même manière.


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