FU MANCHU - The Action Is Go

 


La jointure entre l’ancien et le nouveau siècle a marqué un tournant créatif dans le rock. Les années 2000 et 2010 ont été le début  du déclin commercial de plus en plus rapide de cette musique qui avait dominé la culture adolescente pendant cinquante ans. Le rock de manière générale, et le metal en particulier sont encore très présents sur les ondes. Puis la Loi Toubon imposant un quota de chanson française de quarante pour cent sur les radios viendra tuer la diversité musicale dans le pays. Finis les Metallica, les Guns’N’Roses, les Rage Against The Machine sur NRJ ou Fun Radio.

Depuis le milieu des années 1990, l’adolescent que je suis a tourné le dos depuis longtemps au rock mainstream, les Korn, Fear Factory, Metallica… Fan de Led Zeppelin, Black Sabbath, Motörhead et Deep Purple, je n’arrive pas à retrouver l’héritage de ma musique favorite dans ces nouveaux groupes, hormis chez un Soundgarden. En 1995, la presse Metal française commence à parler d’un groupe californien nommé Kyuss dont l’album … And The Circus Leaves Town tranche avec le son de l’époque. Inspiré de Black Sabbath, Saint Vitus, mais aussi du psychédélisme américain, ce son nommé stoner-rock semble être l’héritier le plus direct de ce que j’aime dans la musique. Un petit buzz enfle autour de cette scène avec les anglais de Cathedral, The Obsessed, Nebula, et un autre groupe californien nommé Fu Manchu.

Fondé en 1990, sensiblement en même temps que Kyuss, il est le pur fruit de la culture californienne : skateboard, van-life, surf, cannabis. Bien qu’entretenant une image vaguement rétro-vintage, ils sont surtout des fumeurs d’herbe en rupture avec le système, préférant faire du skate en écoutant Black Sabbath, Black Flag, les Misfits et Saint Vitus plutôt que de se palucher sur le neo-metal. Cette culture déviante, de rupture, me plaît. Je ne suis ni un fumeur d’herbe, ni un skater, et je n’ai pas de van mais une Peugeot 106. Mais je me sens en connexion avec ces branleurs refusant de faire partie de la culture MTV.

Mon premier album de Fu Manchu, acheté à sa sortie il y a presque trente ans, est celui-ci : The Action Is Go. C’est leur quatrième après No One Ride For Free en 1994, Daredevil en 1995 et In Search Of de 1996. Je les découvrirai plus tard, et je ne regretterai pas d’être tombé amoureux de Fu Manchu. Mais celui qui me fit plonger dans leur monde sonore, ce fut lui, et c’est un classique. Hard’N’Heavy et même Rock&Folk l’avait chroniqué, c’est dire. A l’époque, ce dernier avait un journaliste spécialisé dans le genre : le regretté Cyril Deluermoz. Les premières écoutes me laissèrent assez pantois, surtout en attaquant avec « Evil Eye ». Cela sonnait vintage, plein de groove, mais avec quelque chose de fondamentalement nouveau.

Loin d’être rebuté, j’étais plutôt pris au dépourvu. J’étais en train d’écouter une musique nouvelle qui me plaisait, mais tout était trop riche, trop nouveau. Il y avait tant d’informations, d’innovations dans ce stoner-rock puissant et compact, cela tranchait tellement avec la hype de U2, Rage Against The Machine et Oasis. Pourtant, j’y retrouvais bien mes bases sonores dans ces guitares sales, méchantes, pleine de fuzz, ces solos grinçants, régulièrement transpercés de wah-wah.

On parle alors du line-up mythique de Fu Manchu : Scott Hill à la guitare et au chant, Brad Davis à la basse, Bob Balch à la guitare lead, et Brant Bjork à la batterie, et provenant de Kyuss. Fu Manchu avait auparavant accueilli le batteur Ruben Romano et le guitariste Eddie Glass qui fondèrent Nebula, autre groupe favori de l’époque pour moi. En fait, The Action Is Go est le premier album après un split conséquent suite à In Search Of, Romano et Glass quittant le navire juste après. Fu Manchu doit donc rebondir. Avec Bjork et Balch, c’est chose plus que facile, Hill et Davis ont mis tous les atouts de réussite de leurs côtés.

Le jeu de batterie de Brant Bjork m’avait marqué à l’époque : ce son mat, cette frappe puissante, ce groove impeccable, il était pour moi une sorte d’héritier de John Bonham. La voix de Scott Hill m’avait aussi pas mal marqué. Il ne chante pas vraiment, il scande, il aboie, avec ce timbre de branleur impeccable. Mais c’est tellement ce qu’il faut pour ce groupe, c’est une patte sonore en soi.

A l’époque, le cd offre des possibilités en termes de durée bien plus grande que le disque vinyle. Ce dernier format est alors complètement obsolète, et les albums sont revendus dans les bacs à soldes pour quelques francs. On préfère le cd, plus pratique : les albums peuvent être plus longs, et les premières éditions remasterisées d’albums anciens permettent de mettre de nombreux inédits et bonus. Fu Manchu cède à ce format en proposant un disque de soixante-trois minutes, ce qui est en réalité compliqué à rendre passionnant sur une telle longueur. Mais Fu Manchu va réussir ce pari, comme reboosté par l’arrivée de Balch et Bjork. Il y a une belle tripotée de classiques sur cet album, et il m’a fallu un bon bout de temps pour me les approprier. « Evil Eye », « The Action Is Go », « Burning Road », « Anodizer », « Laserbl’ast ! », « Saturn III » et « Module Overload » sont sur cet album. Et il y a aussi tous les classiques oubliés comme « Grendel, Snowman » ou « Strolling Astronomer ».

Dans ce monde où les sollicitations sont omniprésentes, il est presque impossible de distinguer ce qui est underground ou anecdotique de ce qui va être marquant. Le recul de mon humble personne me permet aujourd’hui de réaliser la vraie ampleur du choc musical que représenta cet album. Il était un vrai tournant, une vraie alternative à la musique mainstream. Personne ne jouait comme Fu Manchu avant eux, ils ont été avec Kyuss une révolution sonore en soi. On pouvait alors écouter un autre rock heavy, se départir du mainstream, et appartenir à une vraie communauté de fans même si le genre stoner en France était fort minoritaire, en particulier en province. Je dois faire partie des rares cinglés dans la région de Toulouse à avoir trippé sur Fu Manchu en 1997. Je me souviens combien ce disque passé dans ma chaîne ou dans mon autoradio de voiture retournait le cerveau de mes copains. C’était trop fou, trop puissant, il y avait trop d’informations. Mais c’était justement cela qui me régalait : le fait de ne jamais avoir fini de découvrir des couches de musique après l’extase initial de la découverte du riff. Il y avait cette basse, ce jeu de batterie incroyable, ces guitares qui ragent et s’entremêlent, cette voix de branleur démoniaque.

J’ai acheté tous les suivants à leurs sorties : King Of The Road en 2000, California Crossing en 2001 et surtout le dantesque double live Go For It… Live ! De 2003. Je me suis littéralement défoncé sur ce stoner-rock infernal, cet sorte de Status Quo heavy, punk hardcore et psychédélique. Le genre n’eut que peu les honneurs de vrais enregistrements live alors qu’il était démoniaque sur ce terrain. Mais il n’attirait souvent que des publics restreints. Fu Manchu comme les Queens Of Stone-Age furent les seuls à pouvoir revendiquer suffisamment d’audience pour produire de vrais lives animés en tête d’affiche.



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