TRAPEZE - Lost Tapes Vol.2

 

C’est chaque fois la même chose quand j’écoute Trapeze. Ce groupe me fascine depuis la fin de mon adolescence, à l’époque où je l’ai découvert, et je ne cesse d’y revenir régulièrement. Leur catalogue s’est généreusement enrichi ces dernières années de plusieurs coffrets et versions deluxe de leurs albums, avec de nombreuses archives inédites. Mais l’affaire ne s’arrête pas là, puisque Tom Galley, le frère du guitariste Mel Galley, a décidé de se plonger dans les archives de ce dernier pour en extraire des morceaux ou des versions inédites. Nous en sommes désormais au second volume, et son contenu est largement à la hauteur de la musique magique de ce groupe.

Trapeze est une formation née à Wolvehampton, une petite ville au nord-ouest de l’agglomération industrielle de Birmingham. Comme Black Sabbath, Budgie ou Judas Priest, Trapeze est le fruit du Black Country, ce Nord de l’Angleterre baignant dans les fumées d’usines sidérurgiques et les mines de charbon. Le groupe est né en 1968 de la fusion de deux groupes locaux : The Montana et The Finders Keepers. Ils finissent en sextette, et joue une musique progressive baroque inspirée des Moody Blues, d’autres enfants du pays et pionniers de ce que l’on va bientôt appeler le rock progressif.

Trapeze obtient un petit coup de pouce de la BBC en jouant dans l’émission « Colour Me Pop ». ils interprètent trois reprises à leur sauce, et attirent d’abord l’oreille de Apple, le label des Beatles. Après un concert à Londres où le staff d’Apple est présent en compagnie de Paul MacCartney, Trapeze enregistre des démos aux Abbey Road Studios. Seulement, la table de mixage a été remplacée, et personne ne sait encore la maîtriser. Deux morceaux originaux sont enregistrés, mais le son est strident, inaudible. Cette bande ratée plus le fait que Apple est en difficulté financière annihilent les beaux rêves de gloire rapide. Finalement, Trapeze signe sur le label des Moody Blues, Treshold. Le premier album, Trapeze, reste dans la ligne prog-rock des débuts, avec déjà la voix fantastique de son bassiste-chanteur : Glenn Hughes.

Les ventes sont misérables, et leur manager, Tony Perry, leur suggère de plutôt s’orienter vers le son du moment en 1970 : The Who, Led Zeppelin, Black Sabbath, Deep Purple, Jimi Hendrix… Hughes, le guitariste Mel Galley et le batteur Dave Holland sont partants, mais le reste du sextette, pas vraiment. Trapeze devient un trio, avec l’appui en studio des claviers de Terry Rowley, fidèle ami du groupe. En novembre 1970 sort Medusa, à peine six mois après leurs débuts sur vinyle. C’est leur premier chef d’oeuvre. Trapeze affiche une toute nouvelle identité sonore : un hard-rock solide teinté de soul et de funk. La voix de Glenn Hughes y est pour beaucoup avec ses touches de Sam Cooke, James Brown et Stevie Wonder, mais le jeu très particulier de Mel Galley, un peu syncopé dans ses riffs et ses chorus, accentue cette impression funky. Dave Holland imprime un tempo impeccable, puissant et stable, comme les meilleurs percussionnistes noir-américains. Les textes du groupe ont abandonné la féerie en carton, pour se tourner vers leur vécu. Hughes évoque ainsi ses galères financières dans « Black Cloud », et « Jury » parle du public du club Lafayette à Wolverhampton, où les spectateurs du balcon aimaient à insulter les groupes, comme un jury populaire malfaisant.

Si l’album ne se vend pas très bien en Grande-Bretagne, il va en être tout autre aux Etats-Unis. Trapeze assure la première partie des Moody Blues sur leur tournée américaine de 1970. Le trio fait un carton chaque soir, et cela leur permet de se produire trois soirs de suite en tête d’affiche au club Whisky-A-Go-Go de Los Angeles. Le club est plein, et un promoteur leur propose le Sam Houston Coliseum au Texas, toujours en tête d’affiche. C’est une immense salle, que le groupe réussit à remplir en quelques heures grâce aux DJs radio locaux, à tel point qu’un deuxième Coliseum est programmé et se remplit à la même vitesse. Tony Perry réussit in-extremis à leur obtenir un permis de travail d’un mois supplémentaire pour assurer les dates, qui seront le carton initial qui va faire de Trapeze une star au Texas aux côtés de ZZ Top. Le groupe envisage de s’installer aux USA, mais Galley vient se marier et d’avoir un enfant, le projet est donc abandonné.

Trapeze retourne en Grande-Bretagne après presque une année à exploiter le filon exceptionnel texan et ses environs californiens. Le trio fait appel à Neil Slaven à la console pour capter le nouveau disque. L’homme est connu pour ses productions de qualité pour la scène blues anglaise, et notamment Savoy Brown et Keef Hartley Band. Mais il a surtout enregistré le fantastique Imagination Lady de Chicken Shack, véritable obus de heavy-blues. Trapeze enregistre durant l’été 1972 à Londres, la tête encore dans le son de la musique américaine. Glenn Hughes fait entrer des claviers et des cuivres, ainsi que la pedal-steel de BJ Cole. You Are The Music, We’re Just The Band est un brûlot subtil mêlant heavy music anglaise, soul, funk, et folk-rock californien. Il débute par « Keepin’ Time » avec son riff saignant et son fracas de double grosse caisse introductif. C’est du hard-funk hargneux. Le groupe joue beaucoup sur les alternances de calme et de puissance. « Coast To Coast » est le morceau le plus californien de tous, avec son impression de cruising au bord de la côte. « Way Back To The Bone », « Loser » et « You Are The Music » deviennent des classiques immédiats de scène. La pochette qui montre le groupe depuis la scène devant un vaste public texan ne fera pas bouger les ventes en Grande-Bretagne. Au contraire, les Trapeze commencent à être perçus comme des traîtres au Black Country. Tony Iommi de Black Sabbath sera un de leurs grands fans, admirant leur audace et deviendra ami avec Glenn Hughes.

Trapeze part en tournée américaine au printemps et à l’été 1973, mais la belle histoire est fracassée par une offre impossible à refuser. Glenn Hughes est invité à rejoindre Deep Purple en remplacement de Roger Glover. Il doit aussi assurer le chant aux côtés du nouveau vocaliste officiel qui ne sera finalement pas Hughes seul : David Coverdale. Deep Purple n’a en effet pas souhaité casser sa structure de quintette. Hughes s’envole pour trois années folles, avec notamment l’enregistrement des albums Burn et Stormbringer de 1974. Il va y découvre les vols en Boeing privé et la vie de superstar. Il va aussi basculer dans une addiction de trente années à la cocaïne qui va gâcher son talent et sa carrière.

Mel Galley et Dave Holland se retrouvent seuls. Ils n’en veulent pas à Hughes, l’opportunité était gigantesque, ils auraient fait pareil à sa place, du moins pas encore. Ils décident de continuer et auditionnent. Ils font le choix d’un second guitariste pour permettre à Galley de se charger du chant. Rob Kendrick est choisi pour le poste. Pour la basse, ce sera Pete Wright. Le désormais quatuor retourne en studio avec Neil Slaven à Londres, et il capte un chef d’oeuvre méconnu nommé Hot Wire qui sort en septembre 1974. Trapeze réussit à produire un hard-boogie funk. Pour le boogie, Status Quo est indiscutablement dans le viseur, pour le funk, les tourneries infernales de James Brown sont une référence. Le résultat est constitué de huit morceaux solides et efficaces qui rentrent dans la tête et donnent envie de danser. Quelque part, Trapeze rentre à la maison avec un disque plus anglais, même si la pochette colorée penche encore du côté de la Californie. A la surprise du groupe, il atteint la 146ème place du Top 200 US, leur meilleur place depuis leurs débuts. Trapeze semble avoir vu juste avec son boogie-funk. Mais cette définition est un peu simpliste, car il y a des merveilles obsédantes et teintées de mélancolie ombrageuse comme « Turn It On » ou « Steal A Mile ». Et puis l’album se termine avec la maestria heavy-soul « Feel It Inside » de presque neuf minutes.

Si Glenn Hughes plane désormais dans un brouillard de cocaïne, de vodka et de sexe dans un avion privatisé, Trapeze continue de se battre à la dure, et d’offrir de grands disques. Le suivant, Trapeze de 1975, est encore excellent, mais fort mal aimé. Un peu plus soul, un peu moins boogie, il n’arrive pas à toucher son public en termes de ventes de disques. Trapeze vit toujours le grand écart entre ses concerts dans les grandes salles US et les tournées dans les clubs en Grande-Bretagne. Le quatuor y développe la même férocité, mais rien ne se concrétise vraiment. Warner Bros finit par casser le contrat qui les liait depuis 1972 faute de succès, et Trapeze se retrouve à l’abandon. Rob Kendrick s’en va en 1976, et rejoindra à leur grand regret Budgie, qu’il va torpiller en 1978-1979 après le départ du guitariste Tony Bourge.

En fait, le dernier concert de Deep Purple se tiendra le 15 mars 1976 au Liverpool Empire Theatre. Le guitariste Ritchie Blackmore a été remplacé par Tommy Bolin en mars 1975. Ce dernier est un petit prodige, mais hélas accro à l’héroïne. Il va en mourir d’overdose à vingt-six ans en décembre 1976. Déjà, Bolin peine à assurer sur scène en fonction de sa santé, et ce soir-là, Coverdale quittera la scène, convaincu que tout est fini. Hughes se retrouve officiellement sans groupe en juillet 1976, et se rapproche de Galley et Holland pour reformer le trio glorieux de 1970-1973. Il bénéficie encore du label Purple Records. Le guitariste et le batteur, alors sans label, rêvent à une résurrection du trio magique dans les meilleurs conditions, achevant ce qu’ils avaient abandonné après le départ du bassiste-chanteur pour Deep Purple.

Le trio compose et enregistre deux nouveaux morceaux : « Space High » et « L.A. Cut Off », qui finiront sur le premier album solo de Hughes, Play Me Out en 1977. La tournée américaine commence par le Texas. Hughes n’a pas perdu sa voix, mais est ingérable, calciné par la drogue et l’alcool. L’atmosphère devient vite invivable, et après une poignée de concerts, tout s’arrête.

Galley recrute le chanteur et guitariste Pete Goalby au printemps 1977. Il est de Birmingham, et a donc l’esprit de la maison. La sérénité revient au sein de Trapeze, où chacun se sent à nouveau à sa place, Goalby étant avant tout un chanteur même si il assure quelques parties de guitare rythmique. Le groupe rassemble de quoi enregistrer un nouvel album aux Basing Street Studios de Londres en 1978. Il sera capté par Jimmy Miller, l’ancien production de génie des Rolling Stones qui vient juste de ressortir de plusieurs années de toxicomanie, ayant eu le malheur de vouloir suivre Keith Richards. Ce sera son premier enregistrement professionnel depuis presque cinq ans. Le suivant sera Overkill de Motörhead.

Miller construit un son chaud et puissant à Trapeze, ayant totalement compris le son du groupe. L’album sortira d’abord sur le label allemand Shark qui accueille également Chicken Shack et Fandango avec Nick Simper, le premier bassiste de Deep Purple. La pochette est kitsch à souhait, avec une jolie blonde dénudée se mouvant sous le nom du disque : Running. Finalement, Trapeze rejoint le petit label anglais Aura, et l’album sort avec une pochette plus élégante et le nom Hold On en 1979. Le contenu est excellent, avec toujours ce subtil alliage de hard-rock et de funk. La mélodie a fait sa place alors que Journey et Foreigner sont en haut de l’affiche. Trapeze reste cependant un groupe de pur hard-rock, mais il arrive à assimiler tous ces éléments sans dévier.

1979 est une période de changement majeur sur la scène heavy-metal et hard-rock anglaise. La NWOBHM (New Wave Of British Heavy-Metal) arrive avec Iron Maiden, Samson, Saxon, Def Leppard… Black Sabbath, Motörhead, et Judas Priest sont encore dans le jeu de cette scène. Judas Priest vient de voir partir son batteur depuis deux ans : Les Binks. Le groupe brummie souhaite un batteur moins jazz, et plus carré et puissant. Dave Holland est courtisé, et il finit par rejoindre Judas Priest en août 1979. Il en sera le batteur officiellement jusqu’en 1990.

Mel Galley refuse d’arrêter le combat. Il recrute Tony Bray à la batterie, et le groupe repart en tournée américaine, avec plusieurs dates texanes. C’est là que Trapeze capte son premier live officiel, plus précisément à la Texas Opry House d’Austin, devant deux mille spectateurs en mai 1981. L’album s’appelle Live In Texas – Dead Armadillos. Une fois encore, Trapeze balance son boogie-funk redoutable. Le répertoire croise toutes les époques, et le résultat est brillant sur les six morceaux captés. Ce magnifique live ne permet pourtant pas à Trapeze de rebondir commercialement parlant. Alors que Mel Galley continue de maintenir le nom avec différents musiciens après les départs successifs de Goalby, de Wright et Bray, il se voit proposer le poste de guitariste au sein de Whitesnake. Mel Galley va devenir le troisième homme essentiel à l’histoire du heavy-metal anglais en enregistrant avec eux l’immense Slide It In de 1983.

La nouvelle tournée mondiale de Whitesnake débute le 17 février 1984 à Dublin avec le retour de Neil Murray à la basse, qui fut à ce poste entre 1978 et 1981. Le groupe joue devant des arenas pleines après la tête d’affiche des Monsters Of Rock à Castle Donington en 1983. En mars 1984, le groupe est en Allemagne. Comme pour toute tournée rock, les musiciens aiment à faire les idiots. Un soir, John Sykes et Mel Galley s’amusent avec un caddie sur un parking. Galley est dans le caddie, Sykes pousse. Le premier finit on ne sait trop où : dans une voiture stationnée ou dans un escalier selon les versions. Toujours est-il que Mel Galley, trente-six ans, a le poignet gauche broyé. Et plus grave, les nerfs sont touchés. Il persiste une rumeur selon laquelle Sykes l’aurait fait exprès pour devenir le guitariste star de Whitesnake, d’autant plus que devant l’indisponibilité de Galley, il va devenir assez automatiquement le petit prodige capable d’occuper l’espace pour deux, car personne n’envisage de remplacer Galley malgré presque dix ans à deux guitaristes. En avril 1984, Jon Lord va faire sa révérence pour Deep Purple, et Whitesnake va devenir un quatuor guitare-basse-batterie-chant à la Led Zeppelin, comme lors de leur prestation à Rock In Rio en 1985. Pendant ce temps, Mel Galley tente toutes sortes de rééducations, et finit par trouver un spécialiste qui lui met une attelle articulée au poignet capable de compenser ses défaillances nerveuses. Seulement voilà, lorsqu’il revient se présenter à David Coverdale, ce dernier veut un groupe sexy. Un presque quarantenaire avec une attelle au poignet n’est pas dans ses plans de conquête américaine. La carrière de Mel Galley est brisée. Il reprend pied avec le projet Phenomena de son frère Tom, un concept qui regroupe des pointures comme Cozy Powell ou Glenn Hughes. Galley devient dès lors un musicien de l’ombre, victime des impacts de sa blessure.

Glenn Hughes est toujours bien vivant, revenu des morts depuis 1995. C'est grâce à un concert de reformation de Trapeze en 1992 qu'il débutera son retour. Dave Holland est mort en 2018, après une histoire sordide de viol de gamin handicapé qui va entacher la carrière de Trapeze, mais aussi celles de Judas Priest et de Tony Iommi qui avait enregistré avec lui en 1996. Quant à Mel Galley, il est décédé d’un cancer à peine âgé de soixante ans en 2008. C’est pour cela qu’il a confié ses archives dans les mains de son frère, pour poursuivre l’héritage. Et c’est pour cela que ces Lost Tapes sont si précieuses.

Le disque n’offre pas d’information sur les dates des enregistrements, mais lorsque vous avez la continuité historique du groupe que je viens de vous offrir, il est assez facile de se repérer. « Homeland » dévoile un aspect méconnu de Trapeze : le second retour de Glenn Hughes en 1981. Cette réunion est due à l’opportunité : Pete Goalby est recruté par Uriah Heep. Pete Wright est donc à nouveau mis à l’écart, et Hughes reprend sa place à la basse et au chant. Comme d’habitude, la réunion de Galley et Hughes se traduit rapidement par de nouveaux morceaux, et ce « Homeland » en est un, destiné à une démo pour démarcher un nouveau label. Mais l’instable et cocaïné bassiste-chanteur s’en va de nouveau pour se lancer dans le projet Hughes-Thrall avec le guitariste Pat Thrall qui sort du groupe de Pat Travers, alors très populaire sur les scènes américaines.

Ce volume 2 est un joyeux melting-pot de titres studio inédits, de démos de titres déjà connus, et d’extraits live, là où le volume 1 délivrait avant tout de l’inédit studio. Ce second volume permet de se plonger dans toutes les facettes d’un groupe fascinant, par ailleurs brillant musicalement, car tout est en prise direct, avec quelques overdubs par-ci par-là. On se rend aussi compte que le second line-up de Trapeze avec Rob Kendrick avait de la matière pour un troisième album, et travaillait constamment. Le troisième aussi d’ailleurs, avec l’excellent « Must Be Love ». La dernière démo de Mel Galley, « Live Fast Die Laughing » montre du potentiel mélodique, mais sonne un peu trop heavy-metal 1980’s. Ce genre de son est plus crédible sur « Fighting » et « Welcome To The Real World » issus des projets Phenomena dirigés par Tom Galley, les deux réunissant à nouveau Hughes et Mel.

Mon vrai plaisir personnel réside dans les démos de l’album Hot Wire que je porte en très haute estime. « Turn It On » et « Can You Feel It ? », même dans des versions sensiblement plus brutes, sont rafraîchissantes et offrent l’opportunité de redécouvrir la qualité de ces morceaux. Je ne sais ce que vous ferez de cette chronique, si vous ferez l’acquisition de cet album qui plaira avant tout aux fans comme moi, mais il peut aussi servir de moyen de découverte. Sinon, jetez-vous sur les albums studios de Trapeze. Vous qui allez les découvrir pour la première fois, je vous envie.



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1 Commentaires

  1. Article extraordinaire ! Je découvre ce groupe grâce à vote très bon storytelling et m'en vais le conseiller à des amis (le groupe comme l'article !)

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